Les médias sociaux sont-ils des vecteurs d’hybridation entre le contenu et la pub ? Sont-ils les responsables de l’avènement du snack content comme dispositif incontournable du content marketing et de la communication corporate ? Si oui, comment ce mélange des genres se serait-il opéré ?
Nous l’abordions déjà dans le volet introductif de cette série d’articles dédiés au snack content : l’intérêt du format court, voire du très très court, va de soi dans le monde de la publicité. L’achat d’espace, d’abord dans la presse, ensuite à la radio, à la télé, et depuis une vingtaine d’années avec la publicité online – display[1], search[2]ou social[3] – a toujours représenté un pourcentage très important du budget des campagnes publicitaires. Ainsi, plus une publicité était courte (et idéalement efficace), moins elle coûtait cher ! Le succès du snack content en tant qu’outil à part entière du content marketing[4] et de la communication corporate[5] serait-il dû à un effet d’itération de ce procédé formel subi par le monde de la pub ?
Le snack content, enfant de la pub ?
Avec la miniaturisation des devices et le développement d’une connexion de plus en plus performante dans la plupart des parties du monde, la publicité online a gagné de plus en plus de parts de marché ces dernières années, si bien qu’aujourd’hui elle est le leader incontesté du marché de la publicité dans sa globalité.
Au sein de la pub digitale elle-même, si le search[6] reste depuis plusieurs années en tête avec un peu plus de 50 % des revenus publicitaires en ligne, c’est le social[7] qui enregistre la plus forte croissance et s’en sort le mieux dans le contexte de pandémie. En 2020, le social représente en France 25 % des revenus globaux de la publicité en ligne, soit 638 millions d’euros enregistrés au premier semestre 2020 seulement[8].
Une aussi forte rentabilité de la publicité sur les médias sociaux s’explique tout simplement parce que les audiences y sont… C’est d’ailleurs pour conquérir ces mêmes audiences que la communication corporate aurait ainsi emprunté le snack contentà la pub pour tenter de s’imposer au sein de l’Eldorado des réseaux sociaux.
Le snack content, enfant des réseaux sociaux ?
Le social media s’est imposé dans les stratégies de marketing et de communication des entreprises depuis plusieurs années jusqu’à devenir aujourd’hui un incontournable. L’avancée de cette « discipline » à part entière dans l’entreprise s’est faite de manière assez linéaire :
naissance au milieu des années 2000, lorsque les « premiers » réseaux sociaux voyaient le jour. Quel accueil en entreprise ? Les réseaux sociaux étaient à cette époque la responsabilité exclusive des stagiaires et on se félicitait en tant que marque de posséder un compte Facebook.
adolescence au début des années 2010, lorsque la plupart des entreprises et des acteurs institutionnels prenaient la parole sur les réseaux sociaux de façon indifférenciée par rapport aux autres canaux de diffusion et effectuaient parfois des actions aujourd’hui inconcevables comme l’achat de fans en masse. C’est cependant à cette même époque que nous avons vu naître aussi les premières stratégies de marque dédiées aux médias sociaux.
maturité depuis la fin des années 2010, lorsque ces stratégies social media se sont généralisées et qu’on a vu apparaître tout un ensemble de spécialistes du social media, lesquels ont joué un rôle important dans ce que nous avons appelé l’avènement du snack content.
L’avènement du snack content
Ainsi, en érigeant le social media comme un incontournable au sein des entreprises, les experts internes ou externes aux directions de communication ont préconisé le fait de répondre de plus en plus aux exigences des différentes plateformes pour chercher à se démarquer. Parmi leurs recommandations, on peut rappeler la production de contenus natifs, la prise en compte du fonctionnement des fils d’actualité et de la dynamique de flux, la sponsorisation des (micro-)contenus, l’adaptation des formats en fonction des médias de destination… A cela s’ajoute le nécessaire suivi des tendances des réseaux sociaux, des modifications constantes de leurs interfaces et de leurs fonctionnalités ou encore de leurs algorithmes qui petit à petit ont commencé à privilégier la publicité au détriment de tous les autres contenus[9]…
C’est dans ce cadre précis que le snack content s’est vu petit à petit ériger une place de choix dans les stratégies de contenus mises en place par les directions de communication corporate des entreprises et dans les recommandations des agences spécialisées… à raison ou à tort ?
Vous l’aurez compris, il est question désormais de pointer les éventuelles limites de ce que nous avons appelé l’avènement du snack content au sein de la communication corporate. Ce sera l’objet du prochain article de la série intitulé « Le snack content, enfant prodig(u)e de la communication ? ». Stay tuned!
[2] Le « search marketing » ou « search engine marketing » regroupe l’ensemble des techniques consistant à positionner favorablement des offres commerciales, sites internet, applications mobiles ou autres contenus sur les pages de réponses des moteurs de recherche.
[4] Le content marketing, ou marketing de contenu, désigne les pratiques qui visent à mettre à disposition des prospects ou des clients un certain nombre de contenus utiles ou ludiques. En savoir plus.
[5] La communication corporate regroupe l’ensemble des actions de communication qui visent à promouvoir l’image de l’entreprise ou d’une organisation vis-à-vis de ses clients et de ses différents partenaires.
[7] Selon le Blog du Modérateur, avec une baisse de 5 %, le social est le levier qui a le moins subi la crise du Covid. Les plus petits annonceurs se sont engagés plus fortement sur ce secteur orienté vers la performance, ce qui a compensé l’arrêt des campagnes des acteurs plus importants. Le marché du social a aussi été porté par Instagram, qui a connu un trafic d’audience important avec de très bons revenus publicitaires grâce à un meilleur ciblage alimenté par la data. Snapchat, LinkedIn ou encore Twitter ont été moins impactés du fait de la diversification des dépenses des annonceurs.
[9] De manière peu surprenante, puis que leur business model se structure quasi exclusivement sur la publicité extrêmement ciblée (en passant par la récolte de la data).
Le snack content est-il du junk content ? C’est la question volontairement provocatrice à laquelle je tente de m’attaquer dans cette nouvelle série de tribunes. Mais qu’est-ce que le snack content ? Traduit littéralement en français « micro-contenu », ce concept jargonneux est un terme marketing utilisé pour décrire un contenu court ou très court qui va droit à l’essentiel, facile à consommer, et souvent – mais pas uniquement – dédié à un usage sur les réseaux sociaux et/ou à un usage mobile1. Depuis quelques années il perce et cartonne dans la communication corporate, à tort ou à raison… En savoir plus !
Mais qui aurait envie d’un snack quand on pourrait choisir un repas gastronomique à la place ? L’analogie avec la consommation de contenus en ligne n’est pas anodine puisque les éléments à considérer pour choisir entre deux contenus et deux plats sont semblables. Tout comme au restaurant, sur le marché des contenus en ligne, il est aussi question d’un coût à prendre en compte. La différence ? Sur l’internet, il est de moins en moins question d’argent, le coût d’entrée se mesurant de plus en plus en temps, en attention, en « temps de cerveau disponible », comme le veut la désormais célèbre phrase d’un publicitaire français.
Le snack content apparaissait dans le monde de la communication corporate il y a quelques années comme étant le Saint Graal, la solution ultime à un problème générationnel irrémédiable : le manque d’attention2. Avec cette préoccupation en tête, toute une génération de professionnels de la communication ont érigé une place de choix au snack content parmi les solutions à cette « équation impossible »3 liée à la consommation de contenus sur le web : la richesse des contenus disponibles vs. une attention de plus en plus limitée4.
Snack content… et si on se trompait sur toute la ligne ?
Cela fait bientôt trois ans que je suis consultante en stratégie éditoriale et digitale au sein d’une agence de communication corporate spécialisée dans le contenu. Cela fait bientôt trois ans que moi aussi je conseille régulièrement à mes clients – ils sauront le reconnaître – de passer par le snack pour faire passer leurs messages. Entre pairs, il nous est d’ailleurs souvent arrivé de juger de la qualité d’un contenu en prenant clairement en compte cette variable : la « snackabilité »5 de ce dernier.
Si l’intérêt du court et du très très court va de soi dans le monde de la publicité, serait-il possible qu’en l’adoptant aussi religieusement dans le monde du content marketing, on se soit trompé sur toute la ligne ? C’est en tout cas la thèse que je souhaite explorer dans cette série de mini articles dédiés au snack content intitulée « Pour en finir avec le snack content ? ».
Dans le prochain épisode intitulé « Le snack content : les origines – Episode #2 » nous allons nous intéresser à l’histoire du snack content… Stay tuned!
Google s’est donné comme mission « d’organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre accessibles et utiles à tous »¹. Or, tout le monde sait que l’information c’est le pouvoir. Qu’est-ce donc que d’aller au-delà de la détention de l’information pour se placer en organisateur de celle-ci, sinon un privilège monarchique et un pouvoir absolu ? Google, roi d’Internet, est aussi maître du ROI (return on investment). Quelle est l’étendue de son pouvoir ?
Just go and google it!, rien de plus naturel dans notre quotidien à tous… Les chiffres le prouvent puisqu’en janvier 2020, 6 milliards de recherches Google étaient effectuées chaque jour par 1,17 milliards d’utilisateurs uniques. En moyenne, 71 000 requêtes sont effectuées toutes les secondes à l’échelle mondiale. En effet, Google satisfait nos curiosités, notre soif de savoir, de divertissement, d’information ; il est même juge de nos débats avec nos pairs ! Quand deux ou plusieurs personnes n’arrivent pas à se mettre d’accord sur un sujet, c’est Google qui a raison ! Et plus personne ne doute.
Qu’est-ce que Google pour la plupart d’entre nous ? Un moteur de recherche nous ayant fait oublier tous les autres. La loi du monopole d’Elias² semble s’appliquer à Google (et à l’espace virtuel) puisque plus aucun challengeur n’approche. Qu’est-ce donc que Google ? Une institution dont nous avons oublié les fondements. Plus encore ? Une évidence. La solution si simple et gratuite pour répondre à ce besoin si ancré et si important pour nous, le besoin d’information qui nous relie aux autres.
Un drôle de pouvoir, une drôle d’équation. Google répond à toutes les questions du monde sauf à une : comment fait-il pour y répondre ? Grand paradoxe. Son algorithme, qui trie parmi les 130 000 milliards de pages indexées en 2020, fait partie de ces secrets industriels les mieux gardés au monde. Sauf que Google ne vend pas du soda ou des burgers, il donne des réponses. Sous prétexte de secret industriel au même titre que la recette de Coca-Cola, Google défie la démarche scientifique qui veut que le savoir soit issu d’une méthodologie précise basée sur l’expérimentation et sur la preuve, et il nous apporte des réponses comme par magie, nous faisant ainsi sortir du paradigme cartésien. Et cela ne semble pas nous poser problème.
Google roi du contenu
Google punit les sites qui ne sont pas mobile friendly ou UX, Google punit les contenus qui ne sont pas enrichis par des images ou des vidéos, le trop de caractères sans répétition incessante de la requête principale, le pas assez… Le SEO, vous en avez entendu parler ? Le Search Engine Optimization ou l’optimisation pour les moteurs de recherche, enfin, pour le moteur de recherche roi, Google. Un acronyme bien connu dans le monde de la communication qui a donné lieu à un métier à temps plein : le métier de référenceur web. Ce dernier n’est ni un journaliste, ni un rédacteur, il n’est pas un communicant non plus, mais un spécialiste de Google qui cherche sans cesse à en décrypter l’algorithme.
Le monde libre du web se perdait dans son propre désordre… Heureusement que Google, avec son fameux « PageRank »³, a légiféré et prospère désormais en tant que grand ordonnateur des lois qu’il a lui-même édictées. Dans un monde de l’information où les institutions, les entreprises, les personnes physiques deviennent des médias, Google semble pousser l’ensemble des producteurs de contenus face à un véritable choix cornélien : écrire pour Google ou écrire pour son public ? La question ne se pose pas ?! Si. Dans la mesure où ne pas se plier aux exigences techniques et rédactionnelles du web régi par Google revient à ne jamais être visible pour son public. Or ne pas être vu — et donc ne pas être lu — c’est frustrant quand on a un message à faire passer ; ne pas être vu — et donc ne pas être lu — revient même dans certains cas à ne plus pouvoir produire de contenus.
Qu’il s’agisse de certains médias qui fondent leur modèle économique sur la publicité ou des services de communication des entreprises, la notion de performance — le taux de clic, le taux de rebond, le ROI (Retour sur investissement) en un seul mot — distingue ceux qui pourront poursuivre leur activité de ceux qui, faute de ressources, devront nécessairement l’arrêter⁴.
Écrire pour Google alors ! Mais à quel prix ? Il existe deux voies possibles. La première est la pratique exacerbée du SEO, qui revient à participer sciemment à l’appauvrissement et à l’uniformisation des contenus disponibles sur le web⁵. La seconde est de payer Google pour ne pas se retrouver noyé dans la richesse quantitative des contenus qu’il indexe et surpasser ainsi tous les autres. En effet, si vous n’êtes pas partisan du SEO, Google a une réponse pour vous : le SEA. Le terrain du Search Engine Advertising qui signifie littéralement « publicité sur les moteurs de recherche » a été fortement investi par Google qui multiplie de plus en plus les liens commerciaux ou publicitaires sur ses pages lorsqu’il répond à nos requêtes. Google Ads est le « trésorier » qui collecte l’impôt auprès des annonceurs qui souhaitent assurer à tout prix⁶ la visibilité de leurs contenus.
Google se donne officiellement pour mission de rendre l’information universellement accessible et utile. Or, les règles régissant le SEM (Search Engine Marketing) soulèvent un paradoxe nouveau : si on peut payer pour rendre accessible n’importe quel contenu, il est aisé de penser que ce contenu n’est pas forcément le plus pertinent en réponse à une requête donnée et donc n’est pas forcément utile. Inversement, les contenus utiles, « les bonnes réponses » à une requête donnée qui ne bénéficieraient pas d’un lien sponsorisé ni d’une optimisation SEO, pourraient se voir noyées en SERP 10 sans jamais être accessibles. Une blague dans le domaine du SEO veut que pour cacher un cadavre, il suffise de le cacher en deuxième page des résultats de Google…
Sur Google, l’accessible et l’utile sans être totalement irréconciliables, ne vont donc pas forcément de paire.
Google roi du web
Google roi des moteurs de recherche, Google roi du contenu, Google roi de la publicité, Google roi de la cartographie, Google roi… Google roi du web ? Google ne s’est pas satisfait d’une position monopolistique sur le marché des moteurs de recherche, mais semble chercher à consolider une position monopolistique sur le web dans son entièreté⁷. En effet, via sa société Alphabet, Google mène une politique de diversification forte, procédant à de nombreuses acquisitions au fil des années. II détient aujourd’hui de nombreux logiciels et sites web notables parmi lesquels YouTube, le système d’exploitation pour téléphones mobiles Android, ainsi que d’autres services tels que Gmail, Google Drive, Google Earth, Google Maps ou Google Play… Software, hardware, softpower, de quoi bâtir un royaume ! Qu’est-ce donc que Google sinon le détenteur du monopole de la violence symbolique légitime⁸ sur le web ?
Si la publicité (display et achats de mots clés) ont fait la richesse de Google, c’est bel et bien sa promesse initiale, celle de son premier service — le moteur de recherche — qui lui a permis de s’assurer le monopole sur d’autres marchés numériques, et de commencer une entreprise qui s’apparente à une forme de colonisation du web. En effet, avec Google le syntagme « l’information c’est le pouvoir », n’a jamais été aussi vrai, dans la mesure où plus Google donne de l’information, plus il en récolte. Plus il donne de l’information, plus il consolide son pouvoir. Comment ? L’ensemble de ses services, dont la plupart sont gratuits, sont des grands collecteurs de data. Pas besoin de rappeler que lorsque c’est gratuit, le produit c’est vous, si ?
« Le Web auquel beaucoup se connectaient il y a des années n’est plus celui que les nouveaux utilisateurs trouveront aujourd’hui. Ce qui était autrefois une riche sélection de blogs et de sites Internet a été comprimé sous le lourd poids d’une poignée de plateformes dominantes [en mesure de] contrôler quelles idées et opinions sont vues et partagées ».
Tim Berners-Lee, le fondateur du Web, interview au Monde
² Dans son ouvrage Sur le processus de civilisation (paru en France en deux volumes distincts, La Dynamique de l’Occident et La Civilisation des mœurs), le sociologue d’origine allemande Norbert Elias propose une analyse de la genèse de l’État à deux niveaux, sociogenèse et psychogenèse, mettant en évidence un processus de « conquête monopolistique ». Le point de départ de l’analyse de Norbert Elias se situe en Europe occidentale, dans le monde féodal du XIe siècle, c’est-à-dire dans une société divisée en multiples « unités de domination ». Le mécanisme non intentionnel par lequel une de ces unités (le royaume de France qui ne comprend à l’époque que le domaine royal proprement dit situé entre Paris et Orléans) va finir par supplanter les autres correspond à un processus concurrentiel par lequel celui qui n’accroît pas ses ressources risque de perdre ce qu’il possède déjà, ce qui exclut donc le maintien d’un statu quo ante entre ces « unités de domination ». L’auteur nous présente cette dynamique sociale sous la forme d’une loi du monopole. La conquête du web par une poignée d’acteurs dont Google apparaît en chef de file — les GAFA — ressemble fortement à la dynamique de concentration monopolistique menant à la création des États modernes décrite par Elias dans La Dynamique de l’Occident.
³ Le Pagerank est un système développé par les fondateurs de Google qui affecte une « notation » à une page web en fonction des liens externes pointant vers cette page et de la nature et qualité des sites sur lesquels ces liens sont présents. Combiné aux autres critères SEO, le Pagerank contribue au score global attribué à une page en fonction d’une requête donnée et donc à la position de la page dans les SERPs Google.
⁵ A combien de reprises ne vous est-il pas arrivé d’interroger Google sur un sujet assez technique (surtout qui concernait la marmite du web !) et vous avez naturellement cliqué sur le premier ou le deuxième lien naturel affiché en page 1 du moteur de recherche pour vous retrouver sur un article que je qualifierais de « bande d’annonce en boucle » qui souvent ne donne même pas la réponse à votre question ? Il s’agit là de l’œuvre de référenceurs qui trompent l’algorithme qui sélectionne pour afficher en premier des contenus non-pertinents mais respectant l’ensemble des contraintes techniques.
⁶ Un système d’enchères définit le prix de la position 1 dans la page de réponses de Google à une requête donnée.
⁸ Il s’agit de la définition de l’État donnée par le sociologue français Pierre Bourdieu qui reprend la définition du sociologue allemand Max Weber pour lequel l’État était « le monopole de la violence physique légitime ». En développant le concept de violence symbolique, Bourdieu enrichit la réflexion en y apportant cette nuance essentielle pour comprendre la légitimité étatique dans des pays pacifiés. Dans l’acception bourdieusienne, l’État devient ainsi par son pouvoir de nomination « la banque centrale du capital symbolique », au même titre que Google qui consolide des positions monopolistiques dans le numérique et se place en régisseur des normes du web.
C’est en tout cas la question rhétorique qu’adressait Sébastien Bazin, PDG du Groupe Accor, dans son intervention dans le cadre du Online summit business rebound qui avait lieu le 29 avril dernier. En effet, face à la crise sanitaire mondiale, l’Europe entière se mobilise tous azimuts pour endiguer cette pandémie aux lourdes conséquences économiques. Ainsi, États en première ligne, mais aussi grands groupes, industriels, artistes ou encore personnalités de la société civile se mobilisent tous, à leur échelle, via des mesures, des financements extraordinaires, ou encore simplement des actions de sensibilisation. Dans une tribune publiée récemment, je me demandais si Facebook, et par extension les géants du web, n’étaient pas les grands gagnants de la crise. Or, with great power comes great responsibility. Comment les grands du numérique ont-ils rejoint cette mobilisation généralisée ? Quelles sont les mesures concrètes prises par les GAFA dans cette période ?
Les GAFA seraient-ils de manière paradoxale les grands absents de la mobilisation mondiale face au Covid-19 ? Enquête.
Les GAFA face au Covid-19 : entre mesures tech controversées et financements de surface
Les premiers jours de confinement ont été rythmés par une série d’articles issus de médias spécialisés, mais également de grands titres généralistes qui tantôt informaient, tantôt saluaient la mobilisation inédite de Google et de Facebook qui ont donné accès à une partie de leur data de géolocalisation aux gouvernements du monde entier pour leur permettre d’étudier la propagation de la pandémie. En effet, s’agissant des mesures technologiques, les GAFA, grands collecteurs et détenteurs de data, apparaissent comme les chefs de file de la mobilisation. Google et Apple ont annoncé par exemple leur union en vue de proposer des solutions de développement de contact tracing. Dès la mi-mai, les systèmes d’exploitation mobiles iOS et Android seront ainsi en mesure d’accueillir des applications de suivi numérique des patients malades. Le but ? Retracer les déplacements des patients infectés au Covid-19, pour remonter la chaîne de transmission du virus (voir qui a été en contact avec les malades) et arrêter sa propagation. Dans un deuxième temps, Google et Apple comptent directement intégrer le contact tracing dans leurs systèmes d’exploitation ; les utilisateurs qui souhaiteraient activer cette technologie ne devront même plus télécharger d’application.
Mais ces mesures exclusivement technologiques comportent intrinsèquement des limites dans la mesure où elles ne sont pas accompagnées d’une forte réflexion sociologique quant aux usages et aux conséquences que ces dernières peuvent avoir sur la vie privée ou encore sur les libertés personnelles. De nombreux chercheurs et philosophes ont ainsi cherché à alerter quant aux conséquences irréversibles que la mise en place de ce qui s’apparente à un système de surveillance de masse en Europe dans le contexte du Covid-19 pouvait avoir sur le visage-même de nos démocraties occidentales… En France, il n’a fallu que très peu de temps, avant de voir naître la polémique liée à l’appli #StopCovid, précurseure des solutions qui sont en train d’être mises au point par Google et Apple.
On peut donc espérer une réaction tout aussi virulente face à la récolte et au contrôle d’informations si précieuses par des entreprises privées américaines — lesquelles se chargent ainsi d’une forte dose de biopouvoir[1].
Sur un plan économique, nous avons vu ces dernières semaines fleurir des initiatives des grands groupes mondiaux qui annonçaient tout un ensemble de mesures leur permettant de se joindre aux efforts collectifs pour combattre la pandémie. Ainsi, de nombreux chefs d’entreprise ont fortement diminué leur rémunération de manière à ce que la différence d’argent soit allouée aux fonds pour la recherche, l’information ou la production/ l’achat de masques, etc. … Des grands groupes hôteliers ont ouvert leurs hôtels vidés par le confinement aux personnes sans domicile fixe, qui ont pu ainsi se protéger du virus et arrêter de contribuer involontairement à sa propagation. Des entreprises mondiales du secteur cosmétique ont mis la production des crèmes et des parfums en stand byen faveur de la production de gels hydroalcooliques. Des grands groupes du secteur bancaire ont également débloqué des dizaines de millions d’euros d’aides aux hôpitaux, aux populations fragiles et aux élèves en difficulté. On l’aura compris, la mobilisation est grande à la hauteur de la gravité de cette crise.
Les GAFA(M) ont elles aussi rejoint cette mobilisation financière, directement ou indirectement. Les chefs de ces grandes entreprises, qui sont d’ailleurs détenteurs à l’heure actuelle des plus grandes fortunes mondiales, ont fait la course aux dons pour combattre le Covid-19. Ainsi, Jack Dorsey (Twitter), Bill Gates (Microsoft), Jeff Bezos (Amazon) ou encore Mark Zuckerberg (Facebook) font partie des chefs d’entreprise dont les dons ont été les plus conséquents au monde. Mais que Mark Zuckerberg et son épouse, Priscilla Chan, décident de verser 25 millions de dollars, via leur fondation, pour la recherche de thérapies pour soigner les personnes atteintes du Coronavirus, ne revient pas à la même chose que Facebook s’engage à payer un « impôt de guerre contre le Covid-19 ». En effet, ces dons sont faits à titre privé et la confusion souvent faite entre ces PDG fondateurs, stars de l’économie numérique, et leurs entreprises-mêmes apparaît ici comme étant bénéfique à ces dernières.
De la mobilisation soit, mais pour des entreprises dont le capital social est supérieur aux PIB de la plupart des petits États du monde, tout cela paraît encore bien léger… en tout cas, encore bien éloigné de la mesure liée à une taxation des GAFA de plus en plus plébiscitée dans le contexte du Covid-19.
Par ailleurs, si Google, Facebook et Apple ont pris des engagements, les GAFA comptent également parmi leurs rangs un « très » mauvais élève : Amazon.
Conçu initialement en tant que librairie en ligne sans problématique liée aux stocks et pouvant mettre à disposition de ses clients des livres rares, Amazon est d’abord apparu comme une opportunité pour les utilisateurs, mais aussi pour les éditeurs qui ont référencé en masse leurs produits. Depuis, Amazon s’est lancé dans la vente des livres d’occasion — évolution qui a mis les libraires dans une posture de concurrence vis-à-vis du géant du web, ou plus précisément les a basculé dans un système de « co-opétition »[3] dans le cadre d’une plateforme à trois versants — éditeurs — internautes et libraires, dont le grand gagnant est Amazon.
S’il est décrié pour avoir ainsi monopolisé le marché du livre, et, depuis sa forte diversification à la vente online de presque tout (prêt-à-porter, jeux, produits alimentaires…), pour chercher à s’accaparer l’intégralité du e-commerce, Amazon l’est aussi quant à sa gestion de la crise sanitaire Covid-19. En effet, pendant que la France entière était confinée, les commerces de proximité fermés et leur existence-même mise en péril par la mesure, « en périphérie des grandes villes, il continuait à exister des lieux où l’on se confinait à plus de mille » : les entrepôts logistiques d’Amazon[4]. Face à cette situation de fait profondément inégalitaire, le 14 avril, le tribunal judiciaire de Nanterre, saisi par l’Union syndicale Solidaires, a ainsi condamné Amazon à ne livrer que les « produits essentiels » (alimentaires, d’hygiène ou médicaux), qui représentent moins de 10 % des produits habituellement vendus par le e-commerçant, sous peine d’une amende s’élevant à un million d’euros par jour et par infraction constatée. Résultat des courses : Amazon a immédiatement suspendu les activités de ses centres de distribution dans le pays.
Dans une économie globale qui s’effondre à cause de la crise liée au Covid-19, les GAFA affichent une « une santé économique insolente » exacerbée par le confinement, dans la mesure où celui-ci oblige les individus à donner aux gestes et aux habitudes du quotidien une dimension virtuelle. Acteurs économiques mondiaux de première lice, les GAFA se doivent donc de contribuer massivement à l’effort collectif. Or, sous couvert d’une participation au niveau du tech, qui les concernerait en priorité, les mesures concrètes prises jusqu’à présent demeurent minimes.
L’absentéisme systémique. Un trait de figure des GAFA ?
Bien avant la crise du Covid-19, les GAFA ont fréquemment été mises sur le devant de la scène, accusées de proliférer des fake-news, décriées pour nuire aux éditeurs qui exigent depuis octobre 2019 un droit voisin en vertu du fait que ce sont leurs contenus qui font la richesse des plateformes, ou encore jugées de manière répétitive dans des cours européennes pour le non-respect des règles de la concurrence. L’absence de mesures a souvent été la réponse des GAFA face aux polémiques.
Avec le numérique, les règles et le fonctionnement de l’économie ont fondamentalement changé, mais sans évolution adéquate du cadre régulateur. Adam Smith théorisait la « main invisible »[5] dans un monde où on se déplaçait en charrette. Qu’en est-il du nôtre où tout est jeu d’écriture, gestion de flux d’informations beaucoup moins visibles, où les gate keepers ont été remplacés par les gate watchers et tout devient une problématique d’accès plutôt que de mise en visibilité ? Gratuité, plateformes multiversants[6], effets de réseaux directs et indirects[7], publicité automatisée et ciblée… il ne s’agit là que de quelques réalités de cette nouvelle économie qui se structure sur Internet et dont le marché pertinent devient le marché de l’attention — ou encore le marché de la data, cela reste à définir. La problématique ? Ce marché se concentre autour d’une poignée d’entreprises, les GAFA essentiellement, qui captent toute la valeur, au détriment de tout un ensemble d’autres acteurs voués à disparaître ou encore au détriment des producteurs de contenus.
Le grand problème des OTT (over the top), c’est qu’il s’agit de plateformes qui ne créent pas de contenu, qui ne participent pas au financement des infrastructures[8] (du réseau), qui profitent de l’optimisation fiscale[9] et consolident ainsi des positions monopolistiques de fait, difficiles à remettre en question par des challengeurs.
Pour ne prendre qu’un exemple : une startup pourrait très bien mettre au point un algorithme de moteur de recherche beaucoup plus performant que celui de Google. Aurait-elle pour autant ses chances de s’imposer sur le marché des moteurs de recherche, où Google a le bénéfice de l’antériorité et récolte de la data depuis les années 1990 ? Sans accès à toute cette data, aucun challengeur ne pourrait perfectionner son produit et proposer ainsi une meilleure qualité de service, et ce même dans le cas où son algorithme de base serait objectivement meilleur.
L’historique des données fonctionne en effet comme une barrière dans l’entrée sur le marché. Si une parfaite concurrence walrassienne[10] demanderait un échange de l’ensemble des données récoltées avec tous les acteurs, dans le réel, cela poserait bien entendu de vrais problèmes liés à la protection des données. C’est ce qui explique en tout cas aujourd’hui l’émergence d’un modèle économique à part entière dans le monde des startups : je crée une super appli, j’investis tout ce qu’il y a à investir pendant 5 ans et ensuite je vends à Google. Il s’agit du modèle économique du rachat, qui devient un hobby très prenant, mais cela crée de vrais problèmes de distorsion par rapport au marché publicitaire notamment.
Quelles sont aujourd’hui les autorités compétentes pour réguler ces services transnationaux, over the top ? L’Autorité de la concurrence française, la Commission européenne, la Federal Trade Commission aux États-Unis ? Ce n’est pas clair, et c’est bien ce qui fait que l’ensemble des problématiques en cours ne sont jamais réellement et définitivement tranchées.
On l’aura compris, les GAFA sont les grands absents de ce qui rend possible matériellement et économiquement cette interconnexion mondiale appelée Internet, et paradoxalement, ce sont ceux qui en profitent le plus. L’absentéisme semble systémique et inhérent au fonctionnement même des GAFA. Comme déjà évoqué, la crise du Covid-19 ne bouleverse pas profondément cet habitus par des mesures à la hauteur de ce qu’on pourrait attendre d’elles. Cependant, à en croire les prises de parole officielles ou encore les modifications des interfaces de certaines GAFA, leur mobilisation dans le cadre du Covid-19 s’apparenterait quasiment à de l’activisme… Qu’en est-il en réalité ?
Parmi les GAFA, G&F les plus mobilisées ou les plus opportunistes ?
Au regard des premières réactions et des dispositifs mis en place dans la cadre du Covid-19, nous pouvons aisément séparer les GAFA en deux positionnements bien distincts.[11]
D’un côté, Amazon et Apple, qui n’ont pas des utilisateurs, mais des clients à satisfaire, ont mis en place des stratégies réactives, de réassurance, en affichant sur leur site internet de simples messages du type « Compte tenu de la situation actuelle, nos délais de livraison peuvent être rallongés » (Amazon), ou encore « Nos magasins sont fermés jusqu’à nouvel ordre. Nous tenons cependant à offrir le meilleur service possible à notre clientèle. […] Nous avons hâte de vous revoir » (Apple).
De l’autre, Facebook et Google ont, quant à eux, mis en place des stratégies proactives visant à les crédibiliser face à leurs utilisateurs, mais également face aux clients professionnels, à qui elles vendent des espaces publicitaires dont le prix augmente en fonction du trafic qu’elles génèrent. Leur positionnement apparaît donc avant tout comme opportuniste, puisque faire preuve d’implication civique et de crédibilité informationnelle dans la lutte contre la pandémie apparaissait comme la condition sine qua non pour fidéliser les usagers actuels et pour en attirer de nouveaux. En effet, face à une crise mondiale, c’est le pendant informationnel des services comme Google et Facebook qui apparait comme étant le plus stratégique, et la mainmise sur l’espace public via le contrôle de l’information devient la pomme de la discorde des géants du numérique. Mais regardons de plus près les évolutions opérées par Facebook et Google dans le cadre de leur mobilisation contre la pandémie Covid-19 !
J’ai récemment dédié une tribune entière à Facebook et notamment aux conséquences néfastes que son positionnement en tant que plateforme d’information, exacerbé dans le cadre de la crise du Covid-19, pouvaient avoir sur l’industrie de la production du contenu. J’y ai détaillé un certain nombre d’évolutions de son interface qui « trahissent » de manière assez explicite ce nouveau positionnement. Depuis le 20 avril, la date de la publication de cette tribune, quelques autres évolutions de l’interface de Facebook ont attiré mon attention et ne viennent que renforcer cette même idée. Je ne vais prendre qu’un seul exemple : chacune de nos toutes premières connexions quotidiennes sur Facebook, s’accompagnent désormais d’une mise en avant dynamique, de type pop-in de la désormais fameuse rubrique « Covid-19 : Centre d’information » :
Mais assez avec Facebook. Qu’en est-il de Google ?
C’est en tout cas la question que je me suis posée lorsque j’ai tapé, il y a tout juste deux jours la toute première fois « Covid-19 » dans la barre dédiée aux requêtes du moteur de recherche. Voici ce sur quoi je suis tombée :
Rien ne vous surprend ? Sommes-nous toujours dans une SERP (page de résultats d’un moteur de recherche) ? Ou bien atterrissons-nous sur une page dédiée au Coronavirus structurée selon une logique bien précise de mise en scène de l’information et qui sert une ou plusieurs causes bien précises ? Vous l’aurez compris, ma question est rhétorique. Google a développé une landing page Covid-19, qui n’a pas besoin d’URL précise pour exister, qui s’affiche sans faille à une multitude de requêtes distinctes : « Covid-19 », « Coronavirus », « Covid », « nouveau coronavirus », « pandémie corona »… Bref, les chances que la sérendipité prétendue du web soit outrepassée et que l’on tombe sur cette page Google sont grandes…
Par ailleurs, cette page a une autre spécificité. A la différence de n’importe quel autre annonceur — gouvernemental, média, entreprise privée — pour créer cette landing page, Google n’a pas besoin d’être propriétaire des contenus présents sur cette dernière. Pour autant, cette page fournit au simple survol tout un tas d’informations qui peuvent se suffire en elles-mêmes (le nombre de cas, confirmés et de décès en France et dans le monde, les titres du jour dans les journaux nationaux et dans la presse locale, la liste des symptômes du virus, les moyens de prévention comme les gestes barrière, ou encore des statistiques détaillées…), justifiant par là-même la présence plus ou moins prolongée sur cette landing page d’un grand nombre de consommateurs d’information.
En réalité, cette évolution n’est pas si nouvelle que cela. Grâce à des snippets très enrichis, Google retient sur ses pages de recherches un trafic important d’internautes qui auparavant cliquaient sur le site de Météo-France pour connaître les pronostics météorologiques de la journée, se rendaient sur AlloCiné ou bien sur les sites des cinémas pour vérifier les prochaines séances, ou encore allaient sur les pages Wikipédia pour appréhender rapidement un sujet complexe ou une information qui leur échappait. En clair, via ce nouveau fonctionnement opportuniste, devenu criard dans le cadre de la crise actuelle liée au Coronavirus, Google détourne le trafic de tout un tas d’annonceurs qui deviennent obsolètes, ou en tout cas en directe concurrence avec Google lui-même qui choisit de rendre visible (ou non) les contenus que ces derniers produisent à leurs propres frais et efforts.
Une fois que l’internaute a identifié la réponse à sa requête — et ce sans même un clic supplémentaire -, quel intérêt de se rendre sur le site grâce auquel Google a été en mesure d’être apporteur de réponse ? Aucun. Surtout pour un consommateur d’information de plus en plus habitué au snack content, au tweet, à la micro-information, trait de caractère de l’infobésité.
Quels effets pour les producteurs de contenus ? Eh bien dans le cadre du Covid-19, le fait que la page dédiée du Gouvernement apparaisse en chef de file est considéré comme étant un engagement de la part de Google dans la lutte contre les fake-news et pour l’information et la pédagogie de masse à mener pour combattre la propagation du virus. Par ailleurs, faire partie des quelques titres listés à la une à un moment donné devient le saint graal de tous les médias, car ces derniers gagnent en visibilité et les chances qu’un titre plus accrocheur qu’un autre affiché sur cette page fonctionne comme un clickbait sont grandes. Et si demain le clic n’a plus lieu ? Et si la prochaine évolution d’interface de Google laissait les internautes piégés dans les SERPs tels les jeunes Athéniens offerts en proie au Minotaure ?
Que deviendraient alors les producteurs de contenu dont le modèle économique impose de se rattraper sur le versant publicitaire, ou alors ceux dont le ROI (retour sur investissement) justifie ou non de nouveaux budgets alloués à leur mission de communication ? Et qu’en est-il des consommateurs d’information et surtout de ceux qui, sans fil d’Ariane, ne sont pas suffisamment armés pour s’extraire du labyrinthe ? Selon quelles logiques Google sélectionne-t-il les contenus pertinents sur sa toute nouvelle page dédiée au Covid-19 ? Pourquoi me verrai-je proposer un titre issu de 20 minutes plutôt qu’un titre du Monde Diplomatique ? Pourquoi Paris Match et non le Courrier International ?
Ce ne sont que des exemples, mais ceux-ci illustrent comment les GAFA viennent s’immiscer dans l’espace public et cherchent à mettre une mainmise sur ce dernier de manière à surplomber l’économie et à renforcer des positionnements over the top.
On l’aura compris, les géants du web ne sont devenus des géants que parce qu’ils ont réussi à surfer sur leur dimension transnationale pour échapper aux logiques de régulation de la concurrence, aux impôts nationaux, ainsi qu’aux financements des infrastructures ou encore des contenus qui donnent tout le sens à leurs plateformes… Dans le contexte de la crise du Covid-19, malgré une apparence de transformation et d’audibilité de la part d’entreprises comme Google et Facebook, on voit que le syntagme « business as usual » est peut-être plus fort que jamais, et que ces acteurs voient dans la crise sanitaire une opportunité pour renforcer leur mainmise sur le marché de l’information et par extension sur l’espace public.
Si l’ensemble de ces points méritent une réflexion et des réponses précises incarnées par des évolutions du social et du politique, les GAFA ne sont pas les seuls acteurs de l’économie du numérique à « mériter » d’être pointés du doigt. En effet, depuis quelques années, des challengers crédibles structurés selon des logiques similaires à celles inhérentes aux GAFA leur permettant de surplomber et d’avaler des secteurs et des métiers à part entière, ont vu le jour. Il s’agit bien entendu des NATU (Netflix, Airbnb, Tesla, Uber…) qui mériteraient eux-aussi une analyse à part entière.
[1] Le biopouvoir est un type de pouvoir qui s’exerce sur la vie : la vie des corps et celle de la population. Selon Michel Foucault, il remplace peu à peu le pouvoir monarchique de donner la mort. L’exercice de ce pouvoir constitue un gouvernement des hommes ; avant de s’exercer à travers les ministères de l’État, il aurait pris racine dans le gouvernement des âmes exercé par les ministres de l’Église.
[2] Le réseau social d’entreprise développé par Facebook, Inc. et proposant des outils tels que les groupes, la messagerie instantanée et le fil d’actualités.
[3] B. Nalebuff, A. Brandenburger, La Co-opétition, une révolution dans la manière de jouer concurrence et coopération, Village Mondial, 1996.
[5] « La main invisible » est une expression forgée par Adam Smith au milieu du XVIIIe siècle qui désigne la théorie selon laquelle l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques, guidées uniquement par l’intérêt personnel de chacun, contribuent à la richesse et au bien commun.
[6] Il s’agit de plateformes structurées autour de 4–5 versants d’activités avec des synergies entres marchés qui peuvent se nuire les uns aux autres alors que leur cœur de métier est complètement différent, et ce avec des répercussions très graves sur la concurrence, mais aussi sur les consommateurs. Des métiers entiers seront progressivement voués à disparaître juste parce qu’ils n’auront pas réussi à être compétitifs selon ces nouvelles règles.
[7] On parle d’effet de réseau direct quand la présence d’un consommateur supplémentaire sur le marché entraîne une valeur supplémentaire pour le produit pour tous ceux qui le consomment déjà ou pour ceux qui ne le consomment pas encore (nouveaux utilisateurs). Exemple : si aucune de nos connexions interpersonnelles n’avait de compte Facebook, nous n’aurions pas intérêt d’en avoir un non plus. On parle d’effet de réseau indirect lorsqu’un marché numéro 1 crée de la valeur pour un marché connexe numéro 2. Exemple : le marché de la vente de musique en ligne crée de la valeur sur un marché numéro 2 qui est celui de la vente des casques.
[8] Aujourd’hui quand on veut se lancer en tant qu’opérateur de téléphonie mobile en France, le régulateur oblige l’entreprise entrante à couvrir un pourcentage de la population française, mais aussi un pourcentage du territoire géographique de la France via son propre réseau (25 % lorsque Free s’est lancé en 2011). C’est ce qu’on appelle le coût de desserte, qui n’est guère intéressant à couvrir économiquement parlant pour l’entreprise, mais qui permet d’assurer qu’il n’y ait pas de diagonale du vide ou de grands exclus sur le territoire français. S’agissant des géants du numérique, à défaut d’une autorité transnationale en capacité de réguler, même si l’ensemble des « produits » des GAFA ne pourraient simplement pas exister sans le réseau et la couverture du plus grand nombre, aucune de ces grandes entreprises du numérique n’a financé quelconque infrastructure, et encore pire, ils bénéficient de manière outrancière de la bande passante d’un grand nombre d’opérateurs qui les jugent comme étant prioritaires par rapport à de plus petits acteurs. On pourrait se demander aujourd’hui dans quelle mesure il ne relèverait pas de la responsabilité des GAFA de financer le coût de desserte du continent africain, pour ne prendre qu’un exemple.
[9] Un grand nombre de théoriciens et économistes ont conçu les utilisateurs d’un ensemble de services comme Facebook, non plus en tant que consommateurs, mais en tant que producteurs de contenus et d’interactions qui donnent de la valeur à la plateforme. En effet, dans la mesure où c’est bien le travail des internautes qui s’inscrivent et passent leur temps sur Facebook qui donne plus de valeur au service pour les utilisateurs qui y sont déjà et accroissent l’attractivité de la plateforme pour ceux qui n’y sont pas encore, cette présence facilement assimilable au travail justifierait économiquement parlant une rémunération. Il faudrait donc que Facebook paie ses utilisateurs, c’est en tout cas le postulat soutenu en France par le rapport Collin & Colin (2013) qui conclut sur le fait que plutôt que de payer chacun des utilisateurs à hauteur de X euros par mois, il suffirait simplement de multiplier le chiffre avec le nombre d’utilisateurs actifs de Facebook en France pour déboucher sur le juste prix d’imposition du géant américain dans l’Hexagone. Il s’agirait ainsi d’un possible calcul de la somme imposable de Facebook en France. Le même type de calcul peut néanmoins se faire avec tout autant d’aisance au niveau européen.
Alors que 1,7 milliard de personnes à travers le monde sont contraintes de rester chez elles pour endiguer la propagation du nouveau coronavirus, les statistiques d’utilisation des médias sociaux explosent. Facebook n’y fait pas défaut. Ce réseau, jugé depuis quelques années comme étant poussiéreux ou has been, est peut-être le grand gagnant de la crise puisqu’il connaît un retour en force dont la plateforme compte tirer parti, comme en témoignent ses toutes nouvelles fonctionnalités. Le Covid-19 marquerait-il un tournant pour Facebook à la recherche d’un nouveau positionnement sur le marché de l’économie numérique ?
Devenus des outils indispensables pour maintenir le contact avec nos proches pendant le confinement, les réseaux sociaux ne font pas partie des secteurs fortement impactés par la crise économique liée au Covid-19. En effet, comme le montre une étude de Kantar, dans les dernières phases de la pandémie, la navigation globale sur le web a augmenté de 70 %. De même, le temps passé sur les médias sociaux a également connu une hausse de 61 % par rapport aux taux d’utilisation observés habituellement. Si Whatsapp, la plateforme de messagerie de Zuckerberg, est l’application de médias sociaux dont l’utilisation a le plus progressé, Facebook et Instagram ont tous deux connu une augmentation des connexions de plus de 40 % chez les moins de 35 ans.
Facebook nouvelle ère : une plateforme multifonction, « tout en 1 »
Il y a seize ans, lorsque Mark Zuckerberg lançait TheFacebook.com en 2004, la seule fonctionnalité de ce réseau social était de permettre aux étudiants d’un même campus de se rencontrer. Depuis, Facebook dépasse de très loin les visées initialement prévues dans son dispositif sociotechnique… et a pendant plusieurs années disposé d’une position monopolistique sur le marché du social media.
Malgré son déclin au profit de nouvelles plateformes –Twitter, Instagram, Whatsapp, Snapchat, TikTok – que le géant du web a tenté d’acquérir avec plus ou moins de succès, Facebook continue toujours à apparaître comme indispensable pour un grand nombre de ses utilisateurs, et ce n’est clairement pas pour les raisons qui les ont poussés à leur toute première connexion. Facebook a en effet su évoluer au fil du temps et de nombreuses fonctionnalités sont venues s’agréger à la plateforme pour enrichir l’expérience de ses utilisateurs. Qu’il s’agisse de Facebook Messenger ou de la fonctionnalité Événements, on trouve toujours une bonne raison pour ne pas supprimer son compte !
Il y a tout juste une semaine, le lundi 13 avril 2020, en faisant le tour des médias et des médias sociaux que je consulte régulièrement, lors de ma connexion sur Facebook (devenue quotidienne depuis le confinement), j’ai découvert le tout nouveau menu de la plateforme, lequel m’a interpellée à plusieurs niveaux…
Véritable tournant qui marquerait un nouveau positionnement de Facebook ou juste nouveauté UX de mise en scène des fonctionnalités qui m’aurait permis d’en prendre conscience ? Facebook se veut de plus en plus un tout nouveau web au sein du World Wide Web et qui, bien entendu, s’il devait arriver à ses fins, le supplanterait ! Pour étayer mon hypothèse, je vous soumets un schéma et je vous laisse juger par vous-mêmes !
Je vous l’accorde, la plupart de ces fonctionnalités ne sont pas fondamentalement nouvelles. Il y a cependant une entrée de ce menu qui a particulièrement retenu mon attention : la toute première !
Pourquoi ? Selon moi, elle marque une nouvelle ère qui permettrait à Facebook un positionnement stratégique nouveau ou, en tout cas, plus assumé, en tant que plateforme d’information.
Facebook à l’ère du Covid-19 : un nouveau Twitter ?
Crise sanitaire mondiale, plateforme utilisée mondialement… With great power, comes great responsibility, c’est en tout cas la posture politique endossée ouvertement par Facebook dans ses prises de parole officielles, mais également indirectement via de nouvelles fonctionnalités et via des messages dissipés un peu partout au sein de la plateforme…
En ce qui concerne sa position officielle, Facebook, tout comme Google, a annoncé le partage d’une partie de sa data avec les gouvernements du monde entier, de manière à permettre à des chercheurs de mieux comprendre la dynamique de la pandémie. Si cette ouverture sans précédent pourrait avoir de lourdes conséquences sur la vie privée et sur le visage de nos sociétés démocratiques – on ne sait toujours pas ce qui en sera fait, restons optimistes ! -, à ce stade, elle est avant tout extrêmement forte symboliquement parlant. Facebook et Google apparaissent sur la scène internationale en position de force, ils prouvent être des interlocuteurs aussi forts – sinon plus forts – que les Etats… Next step ? Une ambassade de Facebook dans tous les Etats du monde ?…
Mais revenons dans le digital (le confinement impose !). En effet, qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter, aucun de ces réseaux n’a conçu à l’origine son dispositif sociotechnique pour l’actualité et la presse¹. C’est bel et bien la fonction sociale de ces réseaux qui a imposé l’utilisation de ces plateformes pour partager et suivre l’actualité. En effet, l’information relève d’un besoin vital, celui d’être relié aux autres, et Facebook a pris assez rapidement conscience du potentiel de cet usage de sa plateforme. Ainsi, si en 2011 encore on se connectait sur Facebook presque exclusivement pour suivre l’actualité de ses amis et de sa famille, dès 2012-2013, un changement drastique de l’algorithme régissant le news feed de Facebook a donné une importance grandissante aux actualités avec un grand « A » au détriment de celles de nos connexions interpersonnelles. Un nouveau changement de cap a eu lieu en 2015, dans le contexte des attentats du 13 novembre à Paris, lorsqu’en créant les safety check Facebook se positionne en apporteur de solutions et en gardien des trajectoires du risque dans le cadre des crises… Or quel sujet possède un plus fort potentiel viral qu’une catastrophe, de préférence mondiale ?… Quelqu’un a dit « viralité » ? Que celle-ci ait lieu sur Facebook !
Vous l’aurez compris, la crise liée au Covid-19 vient simplement entériner cette fonction d’information et d’alerte de la plateforme. Sa dimension mondiale semble d’ailleurs donner à Facebook une légitimité toute nouvelle, puisque la plateforme crée le 13 avril 2020 une nouvelle entrée dans son menu : « COVID-19 – Centre d’information ».
Il ne s’agit en réalité de rien d’autre que d’un fil d’actualités thématique portant sur la pandémie.
Sans minimiser la gravité de cette crise sanitaire ainsi que l’indispensable mobilisation solidaire de l’ensemble des acteurs socio-économiques, Facebook y compris, Covid-19 reste malgré tout une actualité parmi d’autres… Or, proposer en tant qu’entrée distincte une actualité chaude au sein d’un menu de navigation, froid par définition – qui habituellement propose des grandes catégories à ses utilisateurs leur permettant ainsi d’explorer les fonctionnalités de la plateforme- est tout sauf anodin. S’agirait-il ici d’une première étape visant à habituer les utilisateurs européens de Facebook à sa nouvelle visée informationnelle² ? En effet, quid de « Covid-19 – Centre d’information » une fois la pandémie endiguée ? My guess ? Cette entrée sera aussitôt remplacée par une catégorie à part entière donnant accès aux actualités par Facebook, entérinant ainsi un usage de fait de la plateforme qui, de réseau social, deviendrait une plateforme d’information de manière assumée. Aux Etats-Unis, cela porte déjà un nom : Facebook News.
D’autres rubriques de la plateforme sont également impactées par le contexte de la crise sanitaire. Ainsi, au sein de l’entrée « Evénements », un message porté par Facebook-même interpelle : « Empêcher la propagation du COVID-19 est l’affaire de tous. Chacun, y compris les jeunes personnes en bonne santé, doit éviter les rassemblements durant cette période. Consultez les dernières directives de santé publique fournies par gouvernement.fr. ».
Mais l’exemple le plus parlant de cette posture qu’on pourrait qualifier d’étatique ou bien de paternaliste de la plateforme (qui prend à bras le corps la mesure de ses grandes responsabilités) est peut-être l’amalgame fait par Facebook dans ses « publicités » internes pour faire connaître au plus grand nombre son engagement et sa nouvelle rubrique « COVID-19 – Centre d’information » :
En effet, Facebook nous explique que s’informer – de préférence via sa plateforme – revient à lutter contre la propagation du virus. Si seulement c’était aussi simple ! Le raccourci est pleinement assumé par Facebook qui, ayant été sous la lumière des projecteurs comme vecteur de propagation des fakenews, propose ici un canal où son algorithme sélectionne et propose des articles issus de sources d’information officielles, au même titre que Twitter³. Mais selon quelle logique ? Avec quel impact sur les médias, sur les éditeurs de presse, dont la plateforme agrège les contenus qu’elle propose à ses utilisateurs ?
Les limites de la facebookisation du web
La crise sanitaire liée au Covid-19 apparaît ainsi comme une opportunité pour la plateforme de changer de cap et d’entériner son nouveau positionnement en tant que plateforme d’information. La logique n’est pourtant pas nouvelle. En effet, en octobre 2019 avait lieu un énorme bras de fer mettant autour de la table les éditeurs de presse européens et les GAFA. La pomme de la discorde ? La loi qui transpose dans le droit français la directive européenne sur le droit voisin qui oblige les agrégateurs d’informations, comme Google Actualités et bientôt Facebook News à rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation de leurs contenus. Le problème ? Le refus des géants mondiaux du numérique de jouer le jeu et de rémunérer le contenu qui fait désormais la richesse de leurs plateformes.
Snippets, aperçus Facebook riches, ou encore affichages popin d’articles de presse internalisés aux solutions des grands du numérique, ont pour objectif ultime le fait de prolonger le temps effectif que nous passons sur le moteur de recherche ou encore sur un réseau social comme Facebook. Pour l’instant, rien de terrible pour nous, consommateurs d’information. Or, dans l’économie numérique, sites d’information, blogs de tous types, plateformes e-learning, encyclopédies, médias sociaux, etc., sont tous devenus des concurrents directs sur un seul et unique marché : celui de la publicité. Détourner le trafic d’un média sans contrepartie financière revient à le priver d’une source de revenus essentielle⁴ qui assure souvent sa survie même. En clair ? Si les internautes, pour s’informer, commençaient à se rendre exclusivement dans l’espace actualités de Facebook au lieu de se rendre directement sur les sites d’informations, à terme, à défaut de savoir réinventer leur modèle économique de manière efficace, tout un ensemble de médias seraient voués à disparaître. Ainsi, petit à petit mais avec certitude, le contenu se verrait appauvri à la fois qualitativement et quantitativement, au profit là encore des logiques monopolistiques… Les plus grands, les plus mainstream souvent, seraient les seuls à être en mesure de poursuivre leur activité.
À la différence de Google, Facebook semble néanmoins envisager une rémunération pour des contenus sélectionnés de manière qualitative au sein de sa future rubrique d’actualités, mais pas pour tous les médias et selon des logiques qui demeurent aujourd’hui encore opaques. Avec Facebook News, le géant du web semble s’octroyer une légitimité de sélection qui consacrerait la plateforme en tant qu’instance décisionnaire qui choisit des sources d’informations qui seraient pertinentes, légitimes en écartant celles qui ne le seraient pas. Ainsi, Facebook pourrait procéder à une purge progressive mais certainedes producteurs de contenus,viaune sélection à double étage. D’abord, avec l’aide de sa toute nouvelle armée de journalistes (permettant d’échapper au diktat de son algorithme tant décrié), Facebook fait un tri qualitatif entre les sources d’informations qui mériteraient de remonter dans son fil d’actualités et celles qui ne le mériteraient pas, avec un impact certain sur le trafic enregistré par ces dernières. Ensuite, si Facebook décidait de rémunérer seulement une partie des éditeurs de presse qui remontent dans son fil au détriment d’autres, une seconde vague d’éradication serait opérée, car ceux qui ne bénéficieraient pas de la contrepartie financière de la plateforme pourraient être eux-aussi pénalisés de manière arbitraire au risque de leur disparition même.
On l’aura compris, ce scénario prospectif où Facebook parviendrait à redorer entièrement ses lettres de noblesses en se réinventant en tant que plateforme d’information aurait potentiellement de lourdes conséquences sur l’industrie des médias et de la production de contenus. Ainsi, si les velléités initiales du WWW étaient de donner un accès libre à l’information qui deviendrait universelle, Facebook semble être sur le point de les trahir car sa politique aurait pour effet la paupérisation du contenu, l’uniformisation des points de vue, enfin, une main mise sur notre accès à l’information passée au crible de son algorithme ou de son bon vouloir.
Si Facebook a encore du chemin à parcourir et nous apparaît aujourd’hui comme encore loin d’être un outil indispensable à notre navigation sur internet, en réalité, cette projection est peut-être déjà en partie vraie pour Google qui est souvent confondu par les plus jeunes ou même par les plus seniors d’entre nous avec Internet même…
« Je pense que l’une des menaces les plus inquiétantes est toujours que quelqu’un prenne le contrôle de l’ensemble. Ça peut être un gouvernement ou une grande firme, selon le lieu et l’instant. Contrôler, ça peut vouloir dire bloquer, ça peut vouloir dire espionner les gens, ça peut être de la censure, ou ça peut être quand vous pouvez aller sur n’importe quel site mais en sachant que le gouvernement vous observe et peut vous mettre en prison s’il estime, d’après les sites que vous consultez, que vous représentez une menace. Donc garder le web ouvert est très important. »
Tim Berners-Lee (AFP, Londres, Royaume-Uni, 2012)
¹ A. Mercier et N. Pignard-Cheynel, « Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 5 | 2014.
⁴ Si le recours à la publicité s’est imposé pendant longtemps comme le seul modèle économique viable sur internet, c’est parce que l’accès à une information universelle et gratuite était inscrit dans l’ADN même du web tel que conçu par Tim Berners-Lee. Le hic ? Ce marché de la publicité a petit à petit été accaparé de manière virulente par les GAFA. Ainsi, la part de Google et de Facebook sur le marché de la publicité en ligne dépassait 75 % en 2019 et pour l’instant semble continuer à grimper !
Il y a quelques jours je publiais une tribune pour proposer un regard critique quant aux effets néfastes de l’emballement médiatique sans précédent lié à la couverture du nouveau coronavirus. Celles et ceux qui ont eu la gentillesse de me relire m’ont rappelé, à juste titre, que pour ceux d’entre-nous qui sommes les mieux « armés » pour sortir la tête du brouillard, des contenus de fond et surtout des formats particulièrement inédits ont vu également le jour pendant cette période. L’ambition de ce papier est justement de partager avec vous un benchmark efficace que j’ai réalisé pour identifier sur la toile cinq tendances éditoriales pédagogiques innovantes (tant du point de vue de la forme que celui du fond), que je qualifierais de remparts contre la « mal-info » ou encore contre les fake-news.
#1 Cartographier non pas pour mesurer le risque, mais pour l’expliquer
J’avais abordé le concept de trajectoire du risque pour définir ce qui serait une nouvelle fonction des médias : le fait d’alerter vs. le fait d’informer. En effet, s’agissant du traitement médiatique d’un virus à propagation fulgurante, le rapprochement géographique imminent de celui-ci apparaît comme un facteur aggravant la tentation des médias de recourir à un traitement alarmiste de cette actualité.
Or, s’intéresser à la propagation du virus en prenant en compte la variable géographique peut remplir d’autres fonctions en plus de la seule fonction d’alerte qui pourrait être incarnée par la célèbre réplique : « Covid-19 is coming ». Voici les meilleurs exemples dans ce sens :
⚙︎ En partenariat avec Le Temps, une équipe de chercheurs de l’EPLF a réalisé une étude sur les liens entre les articles de presse, les requêtes Google et les mentions du virus sur les réseaux sociaux pour comprendre à quel moment il y a eu une prise de conscience collective de l’ampleur de la situation dans les différents pays européens.
⚙︎ Des initiatives personnelles intéressantes ont vu le jour sur les réseaux sociaux comme le le Twitter thread de Loïc Hecht. Celui-ci soulève des problématiques liées à la protection des données et sensibilise en même temps sur la question de la responsabilité individuelle face à cette crise.
Comme quoi, les angles de traitement du Covid-19 peuvent être diversifiés !
#2 Du flux, de l’instantané pour soigner les addicts en proposant le « bon remède »
J’avais également conclu sur le fait que dans un monde médiatique complexe qu’on peut caractériser non seulement par une multiplication des sources et des intermédiaires (notamment des médias sociaux qui fonctionnent comme des agrégateurs de titres qu’« il ne fallait pas manquer ») mais surtout par le règne de l’immédiat, les modes de consommation de l’information changent et beaucoup d’entre nous deviennent des « malades d’info ». Ainsi, nous serions devenus accros à cette fonction alarmiste des médias, incarnée si bien, à la télé, par les chaînes d’info en continu ou, sur le web, par l’ensemble des formats directs ou encore par le fonctionnement inhérent d’un réseau comme Twitter. C’est justement pour répondre à ce public ayant succombé non pas au virus, espérons-le, mais à la mal-info, que certaines initiatives inédites ont vu le jour :
☛ Ainsi, pour accroître son engagement contre les fausses informations, et être accessible au plus grand nombre, Le Monde lance un fil de discussion sur WhatsApp disponible gratuitement. Les utilisateurs qui le souhaitent peuvent recevoir quotidiennement une sélection d’actualités vérifiées, d’informations pratiques, de conseils…
#3 Fact checking, fake-checking : un nouveau déplacement du rôle des médias dans nos sociétés ?
En effet, à l’ère de la post-vérité, la fleuraison des fake-news a pris une telle ampleur que certains chercheurs se sont demandé dans quelle mesure cet usage détourné du web conversationnel ne risquait pas de remettre en question l’organisation même de nos systèmes démocratiques représentatifs. En effet, l’utilisation intensive de fake-news et les effets pervers de l’exposition sélective des réseaux sociaux auraient conduit à des événements politiques majeurs comme l’élection de Trump ou le Brexit.
Désormais, les médias qui informent, les médias qui alertent, se doivent de devenir aussi des médias qui assurent le « nettoyage » du web. En clair ? Un grand nombre de médias avaient d’ores et déjà mis en place des dispositifs de fact checking. Le capital anxiété d’une actualité traitant de la propagation d’un virus mondial rend le sujet propice pour que des hordes de collapsologues plus ou moins respectables s’en emparent. Garde aux amateurs d’une bonne vieille théorie du complot ! Ce risque a été vite identifié par certains médias qui ont renforcé leurs dispositifs ou bien en ont mis en place des nouveaux dédiés au coronavirus :
✔︎ Pour démêler le vrai du faux une centaine de médias dans une soixantaine de pays différents se sont associés sur un site internet développé par l’IFCN, le réseau international de vérification. Ce site s’appelle Coronavirus Facts Alliance et contient plus de 3 000 articles au sein de sa base de données.
✔︎ L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) rejoint la lutte contre les fake-news en lançant un chatbot sur WhatsApp qui répond à toutes les questions santé des internautes concernant le Covid-19.
✔︎ Les comptes Twitter et Facebook de Fake Investigation, spécialisés dans la vérification de la véracité des images et des vidéos, sont un bon exemple d’initiative née exclusivement sur les réseaux. Si elle n’a pas été créée dans le contexte de la crise sanitaire, cette initiative a bien adapté sa ligne éditoriale dans ce sens.
#4 Contre la micro-information dénuée de contextualisation ? Le fond, le fond, le fond…
Le snack content a sans doute beaucoup de vertus, mais pas celle d’expliquer à une population planétaire confinée les tenants et les aboutissants d’un virus qui les avoisine, qui impacte leur travail et qui transforme radicalement leur mode de vie ! Qu’il s’agisse des médias, des annonceurs ou des leaders d’opinion en tout genre, plusieurs contenus développés ont retenu mon attention :
✍︎ L’infographie du Monde aussi, A quoi sert le confinement ?particulièrement inspirante au niveau du format et bénéficiant d’un design plutôt original.
#5 Le retour en force d’un format oublié : le journal !
Qui aurait imaginé que, du jour au lendemain, nous allions voir fleurir toutes sortes de journaux intimes, ou pas tant que ça, portant sur toutes sortes de thématiques, mais avec une vocation implicite ultime et quasi exclusive : « comment survivre au confinement ? ». Voici mes préférés :
☕︎ Le journal de confinement de Wajdi Mouawad en podcast ou bien son initiative « #Au Creux de l’oreille » permettant aux artistes programmés pour la saison 2019/2020 du Théâtre de La Colline de continuer à toucher leur public, en leur interprétant de courts textes au bout du fil…
☕︎ La Fondation Jean Jaurès a lancé, avec Le Point et l’Ifop, un journal collectif, « Covid-19 : en immersion dans la France confinée », qui permet de suivre trente personnes de 20 à 75 ans, confinées dans des régions différentes, à qui l’on a proposé de réagir à l’actualité et de décrire leur quotidien.
☕︎ Bonus : voici également le journal vidéo de mon camarade Arnaud Martien, Je suis confinédisponible sur la plateforme Youtube.
En réalité, les exemples regorgent et je suis sûre que vous en consultez quotidiennement plusieurs alors n’hésitez pas à partager avec moi les pépites découvertes en commentaire !
Immédiateté, circularité circulaire de l’information, emballement médiatique, multiplication des sources, des intermédiaires, standardisation et paupérisation des contenus, formats courts, diktat du direct… autant de facteurs qui conduisent à une perte de sens et à une mauvaise compréhension de l’information dont la principale fonction semble être moins celle de permettre de comprendre le monde que celle de se tenir aux aguets des risques du monde. Et si l’information aujourd’hui créait moins le sens qu’elle ne le brouillait ?
1, 3, 12, 100, 1 000, 25 000… Combien d’entre nous n’avons-nous pas rythmé nos journées sinon nos heures (surtout de confinement !) au rythme du nombre de personnes atteintes par le virus ou bien de celui des personnes ayant succombé définitivement à celui-ci ? Ces chiffres nous ont été communiqués à coups de canons par les médias de manière non-interrompue et souvent non-commanditée. Que cela soit sous la forme de notifications push, sur l’ensemble des chaînes d’info en continu ou bien de manière indirecte (le two step flow¹), via les réseaux sociaux, impossible d’y échapper !
En effet, le Covid-19, peut-être plus que nulle autre actualité, met en lumière le fait que, sous le diktat de l’instantanéité, les médias semblent désormais remplir une fonction nouvelle, non pas d’information, mais d’alerte ; ils deviennent ainsi des pourvoyeurs des trajectoires du risque. Dans le cas de cette crise sanitaire mondiale ayant transité de manière fulgurante d’un côté de la planète à l’autre, c’est justement la dimension géographique du risque (son rapprochement imminent) qui donne au traitement médiatique du Coronavirus une fonction alarmiste d’autant plus forte. En effet, dès la prise de conscience de la gravité de la situation, les médias ont couvert le sujet tous azimuts. Presse écrite, médias en ligne, TV, radios : le Covid-19 s’est imposé avec une vitesse directement proportionnelle à sa propagation mondiale dans toutes les typologies de presse, dans toutes les rubriques, dans toutes les émissions. Ainsi, une étude récente de l’INA² met en évidence le fait que la médiatisation du Covid-19 et de ses conséquences est un phénomène absolument inédit dans l’histoire de l’information télé : du lundi 16 mars au dimanche 22 mars, 74,9 % du temps d’antenne a été consacré au coronavirus et à ses conséquences, ce qui représente une production totale de près de 378 heures d’informations sur le sujet. La presse écrite n’y échappe pas non plus. Une étude menée par Tagaday³ montre que depuis mi-mars, chaque jour, pas moins de 19 000 articles sont consacrés au Covid-19. Les médias sociaux, quant à eux, suivent la tendance et répondent de manière quasi épidermique à cette flambée médiatique. Une équipe de chercheurs de l’EPFL s’est associée au Temps pour réaliser une étude⁴ qui vient comparer trois phénomènes : le volume de recherches Google, celui des articles publiés en ligne par les médias, et les mentions du coronavirus sur Twitter, une boucle vicieuse s’auto-alimentant de manière exponentielle.
Plus viral sur la toile que dans la rue ?
Les hashtags se démultiplient, les prises de paroles aussi, tout comme les fake-news qui y trouvent un terreau des plus fertiles. Bref, tout le monde en parle et les réseaux sociaux fonctionnent comme des boîtes réverbérantes des médias et viennent donc renforcer cette nouvelle fonction d’alerte de l’information. Ainsi, de gros volumes d’articles sont concomitants à de gros volumes de tweets. Telles des dépêches AFP mais sans rigueur journalistique ni recoupement de sources, ces micro-bouts d’informations titillent, tiraillent, et, s’agissant de Coronavirus, angoissent. En effet, ce qui est particulièrement intéressant à noter dans l’analyse de Twitter, et encore plus vrai pour ce média social que pour tous les autres aujourd’hui, c’est que ce réseau est utilisé à des fins de recherche d’information par ses utilisateurs. Ayant pleinement conscience de cet usage détourné et non-prémédité à l’origine dans son dispositif sociotechnique, Twitter a proposé à ses utilisateurs depuis février 2018 de nouvelles fonctionnalités qui viennent entériner sa fonction de source d’information. Un exemple en image, la fonctionnalité les « Moments du jour » :
Plus récemment, la section « COVID-19 en France » / « Coronavirus EN DIRECT », qui propose aux utilisateurs du petit oiseau bleu de suivre en temps réel « les informations des sources fiables et officielles », vient consacrer en plus la posture d’alerte endossée par ce média social.
Facebook, presque par mimétisme avec les médias plus traditionnels, a lui-aussi, de manière particulièrement forte, assumé sa fonction de gardien des trajectoires du risque. La première manifestation la plus tangible de cette fonction remonte au 13 novembre 2015, lorsque Facebook, en plus d’agréger au même titre que Twitter les différentes mises en garde des médias, des leaders d’opinion et des simples internautes, a mis en place son propre système d’alerte/de sécurité : le safety check. Ce système d’alerte a été utilisé depuis à plusieurs reprises par le géant du web dans des situations plus ou moins similaires (tremblement de terre survenu au Népal, attentat terroriste à Londres etc.). La crise liée au Covid-19 ne fait pas défaut à cette dynamique. Le réseau propose en effet à l’ensemble de ses utilisateurs des bannières ou des photos de profil customisées affichant des messages de soutien aux décisions gouvernementales pour endiguer la pandémie, du type « Restez chez vous ! ». Par ailleurs, il va presque de soi qu’EdgeRank, l’algorithme régissant le newsfeed personnalisé de Facebook, a été mis à jour de manière à donner une importance grandissante aux nombreux articles concernant cette crise planétaire.
On l’aura compris, tous les médias confondus font tout pour nous donner un accès immédiat et élargi à toute l’information liée au Coronavirus. Ainsi, beaucoup de médias traditionnels proposent des abonnements à prix réduits dans le cadre du confinement ou des partenariats inédits avec des réseaux sociaux… Les initiatives en ce sens regorgent… Mais être plus informé, est-ce forcément être mieux informé ?
Les maux de la « mal-info »
Et si trop d’information – immédiate, dénuée de contextualisation et d’approche pédagogique – tuait l’information, ou en tout cas brouillait les pistes plus que ce qu’elle ne les éclairait ? Dans ce nouveau régime d’alerte, tout se passe comme sila fonction de certains médias (et notamment à cause de l’usage que le plus grand nombre en fait) était d’attiser les peurs plus que de répondre à un réel besoin d’information. Ainsi, la « bonne » consommation de l’information, celle qui répond à un besoin vital, celui d’être relié aux autres et qui remplit une fonction de connexion et de partage, parfois une fonction de communion – notamment lors des grandes « messes » ritualisées comme les débats électoraux, les finales des coupes sportives… – semble battue en brèche par une (sur)consommation de l’info s’apparentant à du pathologique, où l’info deviendrait de la « mal-info »⁵.
La mal info s’accompagne de réflexes bien particuliers. Le premier est sans aucun doute le renforcement de l’exposition sélective qui correspond au fait de se renfermer dans quelques sources d’info-zones confort. Comment fonctionne l’exposition sélective ? Pour ne prendre qu’un exemple : un internaute identifié « de gauche » par le choix de ses connexions/amis et des pages sur lesquelles il clique se verra proposer par les réseaux sociaux (comme Facebook) toujours davantage de connexions et de pages/profils « de gauche ». Ce double filtrage, effectué par l’algorithme et par les choix de l’internaute, explique le phénomène du filter bubble⁶, à savoir la formation d’une bulle tribale, constituée par l’internaute et par ses semblables, laquelle a tendance à s’enfermer sur elle-même. En effet, à prime abord, faire partie d’un groupe socialement identifié et consommer une information choisie et assumée précisément pour son inscription dans une lecture du monde particulière semble être une pratique valorisante. Mais cette pratique comporte un hic : un grand nombre de consommateurs d’information (souvent ceux les plus à même à lire et à partager des fake news) peuvent ne pas avoir conscience de leur appartenance tacite à un groupe particulier véhiculant des idéologies bien précises. Pour ne prendre que quelques exemples, on peut rappeler ici ces bulles d’enfermement tant décriées par certains pour avoir conduit au Brexit ou à l’élection de Trump, où les dynamiques créées sur les médias sociaux auraient joué un rôle déterminant.
Une autre conséquence de ce type de consommation de l’information est celle de la fragmentation. Si on cherche et on lit tout sur un même sujet (comme cela peut être le cas de certains d’entre nous aujourd’hui par rapport au Covid-19) on devient hyperspécialiste de celui-ci, ce qui vient nuire à la possibilité de construire une espèce d’horizon informationnel commun qui nous permettrait d’avoir une base partagée dans la société qui ne se limiterait pas exclusivement au régime d’urgence… En effet, avec une couverture médiatique aussi importante et un accord tacite des publics qui deviennent addicts à la nouvelle fonction d’alerte des médias (médias sociaux y compris !), on se demande honnêtement si le Covid-19 et son endiguement par le confinement n’auraient pas confiné aussi le reste de l’actualité !
En effet, à l’heure du confinement, de la distance réglementée et des gestes barrières, comment continuer à faire corps ? Comment continuer à être ensemble en échappant au confort immédiat d’un entre-soi exacerbé, qui comporte intrinsèquement des risques majeurs de polarisation, de logiques binaires, terreaux de la radicalisation, laquelle apparaît comme l’un des maux les plus dangereux qui soient… ?
¹ Katz (Elihu), Lazarsfeld (Paul)– Influence personnelle [trad. de Personal Influence, 1955], Paris, Armand Colin, 2008.
Citoyenne du monde, citoyenne européenne, citoyenne roumaine, citoyenne parisienne, citoyenne curieuse, citoyenne engagée, citoyenne communicante, citoyenne passionnée, citoyenNE… je suis une citoyenne éclairée.
Mes pairs appellent « citoyens éclairés » l’audience-type qu’ils sollicitent à chaque fois qu’ils cherchent à atteindre des publics ayant un profil sociologique et un niveau d’études semblables aux miens via leurs campagnes et dispositifs de communication.[1]
Mais qu’est-ce que « citoyen éclairé » veut dire ?
« On naît citoyen mais l’on DEVIENT citoyen lucide et éclairé ».[2] Je me réfère à cette formule parce qu’elle permet d’appréhender la notion de citoyenneté non pas comme une essence intangible et statique, mais plutôt comme un processus, un mouvement qui engage l’existence de l’être humain, lequel vit nécessairement en société. Ainsi, la citoyenneté nous apparaît comme étant entièrement « une question d’éducation, une tâche de formation puisque sans transmission de savoirs et de valeurs d’une génération à l’autre, sans appropriation personnelle par les sujets humains de ces savoirs, de ces valeurs liées à la citoyenneté, cette dernière n’est même pas envisageable. »[3] Mais de quelle citoyenneté parle-t-on ? Trop souvent, on tend à limiter le concept de citoyenneté à la seule question liée au suffrage. Le droit de vote serait ainsi l’attribut qui définit par essence le citoyen.
Je vis en France depuis bientôt dix ans, cela fait bientôt dix ans que je ne jouis pas du droit de vote en France[4] et, pour autant, je ne me sens guère moins concernée que d’autres par les questions de la cité, je ne suis en rien moins citoyenNE que les autres citoyens. Peut-être le serais-je même un peu plus ? En tout cas c’est ce que la juxtaposition de l’adjectif éclairée à ma citoyenneté conceptuellement redéfinie laisse supposer.
Éclairer. « Répandre de la lumière sur (qqch. ou qqn) [s’oppose à obscurcir] »[5]. En effet, la seule prétention du site « Citoyenne éclairée » est l’espoir que ma plume pourra éclairer quelques-uns d’entre vous sur quelque sujet pour lequel je me serais passionnée pour quelque raison à un moment donné. Peut-être plus encore, j’espère qu’elle pourra vous inspirer, vous instiguer, donner naissance et essence à d’autres de vos plumes. Ou bien peut-être s’accordera-t-elle à vos voix pour faire raisonner des idées et faire fleurir de nouveaux horizons…
Scribo ergo sum
Depuis trois ans je suis consultante en stratégie de communication éditoriale et digitale au sein d’une agence de com’. A ce titre, l’écriture m’apparaît comme une alliée et une camarade de route, puisque, aussi bien dans la création de stratégies de contenus, dans la conception de campagnes ou de plans de communication, que dans la rédaction de sujets divers, c’est bien mon stylo qui trace le fil rouge de mes créations et de mes trouvailles.
Écrire. Jusqu’à très récemment, je ne m’étais cependant pas permis de le faire à titre personnel. Effet d’auto-censure, manque de courage, que sais-je ? Et puis un jour, j’ai pris le stylo et j’ai eu le désir ardent d’écrire pour moi. J’ai écrit et ça m’a fait du bien. J’ai écrit sur le premier sujet qui m’a traversé l’esprit et ça m’a libéré. Ça a libéré ma parole, ça a libéré mes idées – les miennes, et plus seulement celles que je porte en tant que plume ou stratège en communication pour d’autres.
Le site « Citoyenne éclairée » est donc un espace d’expression, un espace de liberté, un espace de création où je m’exprime sur des sujets divers…
Mes sujets de prédilection
Pour les plus impatients d’entre vous, voici un nuage avec les principaux tags ou mots clés des sujets déjà publiés sur le site :
En effet, une bonne partie de mes articles vont souvent recouper mon expertise professionnelle. C’est le cas de la série d’articles portant sur le snack content ou encore des articles que j’ai dédiés aux médias sociaux ou bien aux mécaniques et aux grands acteurs qui régissent l’économie numérique et le digital dans son ensemble. J’aime néanmoins penser que mes sujets ne s’adressent pas seulement à un public de niche, à des pairs spécialisés en digital ou en contenu, mais qu’ils ont également une portée plus large.
Politiste et historienne de formation, je me sers aisément du détour historique pour identifier les conséquences économiques, sociales et politiques des phénomènes que je décris. Influencée par le constructivisme dans le pendant sociologique de mes travaux, je tente de comprendre les acteurs et leurs interactions dans une optique bourdieusienne, sans pour autant que celle-ci ne devienne limitatrice.
S’agissant d’un espace de liberté, je m’octroie cependant le droit de prendre la plume sur des sujets très divers ; cet article en est la preuve ! Je souhaite pouvoir m’exprimer sur ce que j’aime appeler les grands enjeux de notre siècle et l’audience que je souhaite toucher, c’est vous, chers citoyens éclairés !
Alors que les taux d’engagement organique sur les réseaux historiques – Facebook et Twitter – sont en chute libre, Instagram demeure l’un des médias sociaux les plus plébiscités par les internautes. Qu’est-ce qui fait le succès d’Instagram ?
Ces 20 dernières années, les grands acteurs du numérique ont complètement bouleversé les modèles économiques traditionnels. Dans un monde où la désintermédiation semblait être la norme, ces challengeurs ont émergé sur des positions d’intermédiaires par excellence, en captant de grandes parties de la chaîne de valeur au sein de nombreuses industries. Le phénomène de «…
Les NFT – non fungible tokens ou encore jetons non fongibles[i] – structurent depuis peu un véritable marché qui s’élève aujourd’hui à plus de 40 milliards de dollars. Leur visée ? Authentifier des objets numériques, voire redéfinir la propriété dans le monde digital. Décriés, inquiétants d’un point de vue environnemental, les NFT, dont la technologie est…
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