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LinkedIn restera-t-il un réseau social professionnel ?

Vous est-il déjà arrivé de scroller votre fil d’actualité Facebook en étant plus ou moins inconsciemment persuadé d’être sur Instagram ? Vous est-il déjà arrivé d’enchaîner une série de Reels sur Insta avec la certitude de passer un petit bon moment sur TikTok ? Twitter, quant à lui, a depuis longtemps abandonné ce qui faisait sa spécificité – les fameux 140 caractères pour devenir une plateforme éminemment visuelle et motrice au même titre que les réseaux précédemment cités. Cet été, via l’implémentation d’une série de nouvelles fonctionnalités, LinkedIn aurait-il, lui-aussi, franchi le cap’ pour se ranger dans la vague uniformisatrice du web, au risque d’oublier sa fonction différenciante, celle d’être un réseau social professionnel ?

©Unsplash, Greg Bulla, LinkedIn company headquarters

Dans un monde du travail complètement transformé par la pandémie, LinkedIn, tout comme les autres réseaux sociaux, a connu en 2020 une forte hausse des connexions et du temps passé par les internautes sur sa plateforme. Besoin de combler la distanciation sociale liée au télétravail ? Besoin, plus que jamais, de performer et de se rendre visible professionnellement pour combattre le doute et l’incertitude ? Qu’importent les raisons. LinkedIn a quoi qu’il en soit décidé d’en tirer partie en offrant à ses utilisateurs de nouvelles fonctionnalités leur permettant de passer encore plus de temps sur sa plateforme. Un article de blog paru le 30 mars dernier signé par Tomer Cohen, Senior Vice President and Chief Product Officer chez LinkedIn, annonçait l’ensemble de ces transformations qui allaient être implémentées dès cet été. Les avez-vous remarquées ? Quelles sont donc ces nouvelles fonctionnalités de LinkedIn ?

Les « nouvelles » cover stories 

Désormais, à condition que vous le souhaitiez, votre photo de profil peut prendre vie en auto-play silencieux lors de n’importe quelle connexion à votre profil. Cela ne vous rappelle rien ? Techniquement identique à la cover video de Facebook et bien entendu bien semblable aux stories d’Instagram, cette fonctionnalité est tout de même marketée à vocation professionnelle. En effet, la vidéo de promotion de celle-ci met en avant quelques exemples où des professionnels en font usage pour parler de leurs services ou encore de leurs ambitions professionnelles.

©LinkedIn

Qu’en est-il de l’utilité réelle de cette fonctionnalité ? Les utilisateurs de LinkedIn vont-ils l’employer de la manière dont LinkedIn le préconise ? Qu’il s’agisse de la recherche d’emploi ou des activités de prospection, il paraît en effet intéressant, pour un éventuel employeur ou un client potentiel, d’avoir un aperçu de ce que vous êtes via cet outil. Cependant, deux risques sont associés à cette nouveauté : que les internautes la jugent soit trop semblable à ce que d’autres plateformes proposent déjà, soit peu professionnelle car trop exhibitionniste. Par ailleurs, si elle apparaît comme étant intéressante pour des professionnels de la communication, il peut paraître injuste de juger un ingénieur ou un analyste sur des compétences dans lesquels il n’est pas censé exceller.

Encore plus de streaming

Aussi, LinkedIn met encore plus le live à l’honneur ! Si vous utilisiez d’ores et déjà cette fonctionnalité, vous pourrez constater que désormais lors de vos transmissions live, ces dernières remplaceront provisoirement votre photo de couverture pour donner à vos contenus live encore plus de visibilité.

©LinkedIn

En effet, on estime que d’ici 2022, 82 % du trafic internet global viendra du streaming et du téléchargement de vidéos (Cisco, 2019), ce qui représente une augmentation de 72,3 % par rapport à 2017. Il n’est donc pas étonnant que LinkedIn se mette à la page et fasse du streaming un réel cheval de bataille.

L’introduction du Creator mode

Enfin, LinkedIn propose désormais un mode spécialement conçu pour les créateurs de contenu, autrement dit pour les leaders d’opinion. Comme indiqué sur son site, ce mode permettrait aux utilisateurs du réseau d’augmenter leurs audiences. Comment ? Une fois le mode créateur activé, le bouton « Se connecter » sera remplacé par le bouton « Suivre » et le nombre d’abonnés précis – et non plus le fameux « Plus de 500 relations » (qui jusqu’ici préservait les utilisateurs du diktat du nombre) – sera affiché dans l’introduction de votre profil. Au même titre que sur Twitter ou sur Instagram, vous pourrez aussi choisir d’afficher via des hashtags les sujets sur lesquels vous publiez du contenu. Par ailleurs, ce mode réorganisera votre profil pour afficher en premier lieu les sections « Sélection de contenus » et « Activité ».

Vous l’aurez compris, le Creator mode n’est rien d’autre que la sacralisation de l’influenceur sur LinkedIn. Mais qu’en est-il de la vocation initiale de ce réseau social professionnel ? Les influenceurs y ont-ils vraiment leur place ? Tomer Cohen ne cache même pas les intentions stratégiques de LinkedIn :

At the heart of our ecosystem is our creator community. People love to see creators give their take on what’s happening in the news or share insights into a specific industry — whether that’s a post, a video, an article, or even a comment. If this is you, check out the new creator mode in your Profile dashboard. 

Tomer Cohen, Vice President and Chief Product Officer Linkedin

Si les sujets professionnels spécifiques aux enjeux des différentes industries seront toujours tolérés, il est attendu de ces influenceurs qu’ils expriment leurs points de vue notamment sur l’actualité et l’information.

Mais politiser et polariser les échanges sur LinkedIn ne risque-t-il pas d’être contre-productif sur un réseau où la raison de notre inscription était avant tout celle de rester en contact avec d’autres professionnels ? Par ailleurs, distribuer et commenter l’actualité n’est-t-il pas déjà le hobby principal des internautes sur d’autres réseaux comme Twitter ou Facebook ? Sur un marché du social où l’uniformisation est la norme, en essayant de faire comme les autres, LinkedIn ne risque-t-il pas la noyade ?


Pour résumer, beaucoup de vidéo, plus de personnalisation, de mise en avant de soi et des arguments de « vente » à prime abord plutôt bien bâtis. Mais qu’en est-il de l’utilité réelle de ces nouveautés ? Ces nouvelles fonctionnalités, qui rapprochent encore plus le fonctionnement de LinkedIn de celui d’autres médias sociaux, ne risquent-elles pas de modifier structurellement la vocation professionnelle initiale de ce réseau ? Il n’y a que le temps qui puisse confirmer ou infirmer cette hypothèse. Le temps et surtout nos usages ! En conclusion, on ne peut que rappeler à quel point la récente histoire du développement des grandes plateformes nous a prouvé que les volontés des fondateurs et des PDG ne sont que des inflexions minimes, et que, pour analyser les évolutions du numérique dans son ensemble, il est absolument indispensable de passer par une sociologie des usages. Alors quels sont les vôtres ? Avez-vous remarqué ces nouvelles fonctionnalités de LinkedIn ? Les utilisez-vous ? Preneuse d’insights en commentaire ! 

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Écologie de l'attention

Le snack content : les origines – #Episode2

Les médias sociaux sont-ils des vecteurs d’hybridation entre le contenu et la pub ? Sont-ils les responsables de l’avènement du snack content comme dispositif incontournable du content marketing et de la communication corporate ? Si oui, comment ce mélange des genres se serait-il opéré ?

©unDraw illustrations

Nous l’abordions déjà dans le volet introductif de cette série d’articles dédiés au snack content : l’intérêt du format court, voire du très très court, va de soi dans le monde de la publicité. L’achat d’espace, d’abord dans la presse, ensuite à la radio, à la télé, et depuis une vingtaine d’années avec la publicité online – display[1], search[2]ou social[3] – a toujours représenté un pourcentage très important du budget des campagnes publicitaires. Ainsi, plus une publicité était courte (et idéalement efficace), moins elle coûtait cher ! Le succès du snack content en tant qu’outil à part entière du content marketing[4] et de la communication corporate[5] serait-il dû à un effet d’itération de ce procédé formel subi par le monde de la pub ?

Le snack content, enfant de la pub ?

Avec la miniaturisation des devices et le développement d’une connexion de plus en plus performante dans la plupart des parties du monde, la publicité online a gagné de plus en plus de parts de marché ces dernières années, si bien qu’aujourd’hui elle est le leader incontesté du marché de la publicité dans sa globalité.

Au sein de la pub digitale elle-même, si le search[6] reste depuis plusieurs années en tête avec un peu plus de 50 % des revenus publicitaires en ligne, c’est le social[7] qui enregistre la plus forte croissance et s’en sort le mieux dans le contexte de pandémie. En 2020, le social représente en France 25 % des revenus globaux de la publicité en ligne, soit 638 millions d’euros enregistrés au premier semestre 2020 seulement[8].

Une aussi forte rentabilité de la publicité sur les médias sociaux s’explique tout simplement parce que les audiences y sont…  C’est d’ailleurs pour conquérir ces mêmes audiences que la communication corporate aurait ainsi emprunté le snack content à la pub pour tenter de s’imposer au sein de l’Eldorado des réseaux sociaux.

Le snack content, enfant des réseaux sociaux ?

Le social media s’est imposé dans les stratégies de marketing et de communication des entreprises depuis plusieurs années jusqu’à devenir aujourd’hui un incontournable. L’avancée de cette « discipline » à part entière dans l’entreprise s’est faite de manière assez linéaire : 

  • naissance au milieu des années 2000, lorsque les « premiers » réseaux sociaux voyaient le jour. Quel accueil en entreprise ? Les réseaux sociaux étaient à cette époque la responsabilité exclusive des stagiaires et on se félicitait en tant que marque de posséder un compte Facebook. 
  • adolescence au début des années 2010, lorsque la plupart des entreprises et des acteurs institutionnels prenaient la parole sur les réseaux sociaux de façon indifférenciée par rapport aux autres canaux de diffusion et effectuaient parfois des actions aujourd’hui inconcevables comme l’achat de fans en masse. C’est cependant à cette même époque que nous avons vu naître aussi les premières stratégies de marque dédiées aux médias sociaux.
  • maturité depuis la fin des années 2010, lorsque ces stratégies social media se sont généralisées et qu’on a vu apparaître tout un ensemble de spécialistes du social media, lesquels ont joué un rôle important dans ce que nous avons appelé l’avènement du snack content.

L’avènement du snack content

Ainsi, en érigeant le social media comme un incontournable au sein des entreprises, les experts internes ou externes aux directions de communication ont préconisé le fait de répondre de plus en plus aux exigences des différentes plateformes pour chercher à se démarquer. Parmi leurs recommandations, on peut rappeler la production de contenus natifs, la prise en compte du fonctionnement des fils d’actualité et de la dynamique de flux, la sponsorisation des (micro-)contenus, l’adaptation des formats en fonction des médias de destination… A cela s’ajoute le nécessaire suivi des tendances des réseaux sociaux, des modifications constantes de leurs interfaces et de leurs fonctionnalités ou encore de leurs algorithmes qui petit à petit ont commencé à privilégier la publicité au détriment de tous les autres contenus[9]… 

C’est dans ce cadre précis que le snack content s’est vu petit à petit ériger une place de choix dans les stratégies de contenus mises en place par les directions de communication corporate des entreprises et dans les recommandations des agences spécialisées… à raison ou à tort ?

Vous l’aurez compris, il est question désormais de pointer les éventuelles limites de ce que nous avons appelé l’avènement du snack content au sein de la communication corporate. Ce sera l’objet du prochain article de la série intitulé « Le snack content, enfant prodig(u)e de la communication ? ». Stay tuned!

[1]La publicité display, dans le domaine du marketing digital, désigne le marché et les formats publicitaires graphiques et audio de type bannières et vidéos.

[2] Le « search marketing » ou « search engine marketing » regroupe l’ensemble des techniques consistant à positionner favorablement des offres commerciales, sites internet, applications mobiles ou autres contenus sur les pages de réponses des moteurs de recherche.

[3] Publicités sur les réseaux sociaux.

[4] Le content marketing, ou marketing de contenu, désigne les pratiques qui visent à mettre à disposition des prospects ou des clients un certain nombre de contenus utiles ou ludiques. En savoir plus.

[5] La communication corporate regroupe l’ensemble des actions de communication qui visent à promouvoir l’image de l’entreprise ou d’une organisation vis-à-vis de ses clients et de ses différents partenaires. 

[6] Au niveau mondial, Google détient le monopole de la publicité sur les moteurs de recherche. Hormis la Chine et la Russie, avec respectivement Baidu et Yandex, le reste des pays affichent souvent plus de 90 % de parts de marchés pour Google. Même si les chiffres datent de novembre 2018, l’infographie d’Abondance (Olivier Andrieu) reste toujours un excellent outil pour rendre concret ce monopole. C’est par ici !

[7] Selon le Blog du Modérateur, avec une baisse de 5 %, le social est le levier qui a le moins subi la crise du Covid. Les plus petits annonceurs se sont engagés plus fortement sur ce secteur orienté vers la performance, ce qui a compensé l’arrêt des campagnes des acteurs plus importants. Le marché du social a aussi été porté par Instagram, qui a connu un trafic d’audience important avec de très bons revenus publicitaires grâce à un meilleur ciblage alimenté par la data. Snapchat, LinkedIn ou encore Twitter ont été moins impactés du fait de la diversification des dépenses des annonceurs.

[8] Pour en savoir plus et retrouver les chiffres précis, consultez l’« Observatoire de l’e-pub : les chiffres clés de la publicité digitale en 2020 ».

[9] De manière peu surprenante, puis que leur business model se structure quasi exclusivement sur la publicité extrêmement ciblée (en passant par la récolte de la data).