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Qu’est-ce qui fait le succès d’Instagram ?

Instagram a été lancé aux États-Unis le 6 octobre 2010. La promesse de ce nouveau réseau social ? Permettre à ses utilisateurs de partager leurs plus belles photos, sublimées par les fameux filtres Instagram. Aujourd’hui, l’application rachetée par Meta est devenue un incontournable de nos smartphones. Elle est utilisée chaque jour par des millions de personnes partout dans le monde, qui y partagent photos, vidéos, « stories », « reels » ou encore de nombreux messages privés. Alors que les taux d’engagement organique sur les réseaux historiques – Facebook et Twitter – sont en chute libre, Instagram demeure l’un des médias sociaux les plus plébiscités par les internautes. Qu’est-ce qui fait le succès d’Instagram ?

Contrairement à des plateformes comme Facebook ou Twitter de plus en plus décriées pour altérer l’expérience utilisateur en invisibilisant toute publication non-sponsorisée, Instagram enregistre une forte augmentation de sa communauté[1] ainsi que des taux d’engagement organique bien supérieurs[2].

Les créateurs d’Instagram semblent avoir pris en compte le phénomène de mondialisation, exacerbée par la démocratisation d’internet, dans la conception de leur réseau social. À défaut d’une langue mondiale, Instagram semble avoir misé sur l’image comme langage universel. Ne dit-on pas qu’une image vaut mille mots ?  

En tant qu’instagrammeuse – plutôt passionnée – depuis environ deux ans, j’ai été souvent interpellée par les profils qui s’abonnaient à mon compte. Long story short, des personnes de tout horizon, de tout âge et surtout de tout idiome… Il semblerait que sur Instagram tout se passe comme si la question linguistique ne constituait guère une barrière pour profiter des contenus des autres… My guess? Nul besoin de parler la même langue pour apprécier un paysage insolite, un rayon de lumière, voire un plat préparé avec soin.

L’auto-censure censurée sur Instagram ?

La parole, les mots sont essentiels au fonctionnement des réseaux comme Twitter ou LinkedIn, et cela d’autant plus avec leur transformation progressive dans de véritables plateformes d’information. Avec l’image qui y règne en maître, Instagram, en revanche, sauvegarde d’abord sa fonction de divertissement, mais surtout l’accessibilité de ses contenus.

Le poids des mots… On sait à quel point l’usage d’un mot plutôt que d’un autre laisse entrevoir une grille de lecture du monde ainsi qu’un ancrage idéologique. Les mots deviennent donc des barrières à l’engagement, d’une part parce qu’ils sont exprimés dans une langue spécifique par définition non-universelle, et d’autre part parce qu’ils renforceraient le phénomène d’auto-censure.

Dans les premières années de Facebook, le ratio entre les créateurs de contenu (ceux qui publiaient) et ceux qui consommaient ces contenus passivement (vues, likes..) était de 10 % vs. 90 %. On observe que se reproduisent en ligne des phénomènes sociaux préexistants, comme le fait que les gens préfèrent souvent passer sous silence des opinions qu’ils savent minoritaires. La « spirale du silence » théorisée par Elisabeth Noelle-Neumann en 1974 met en avant le fait l’individu, face à la crainte de se retrouver isolé dans son environnement social, aura tendance à taire son avis. A cela s’ajoutent les barrières sociales plus classiques, comme le fait de ne pas être en mesure d’écrire dans la « langue dominante », en employant les « bons mots », et donc de ne pas se sentir légitime à écrire[3].

Avec l’acculturation aux réseaux et le développement en masse du web social, ce ratio a été modifié. Les fameuses bulles informationnelles créées par les algorithmes de certains réseaux sociaux ont permis la libération de la parole de nombreuses personnes, confortées justement par l’impression de partager des opinions majoritaires, et ce pour le meilleur (avec la libération de la parole des classes minoritaires, des victimes, me too, etc.) ou pour le pire (avec la prolifération des théories complotistes et des fake news). Mais combien d’entre nous avons toujours un (faux) compte Twitter qui nous permet de suivre sans jamais tweeter ?

L’auto-censure peut naître également du fait que l’on a de plus en plus conscience des phénomènes de surveillance ou tout simplement du fait que nos présences sociales sont constamment analysées par des amis, des connaissances, voire par d’éventuels partenaires d’affaires ou employeurs, et qu’elles peuvent, selon les subjectivités de chacun.e, nous porter préjudice.  

« Une image vaut mille mots », le fonds de commerce d’Instagram

Insta – instant – instantané. Gram du grec ancien γράμμα, grámma (« signe, écrit »). À la recherche d’une étymologie un peu poétique du nom de l’outil, on peut entrevoir la promesse de l’application. L’image-signe, l’image-langage comme point de rencontre, de lien.  

Si Instagram est une plateforme résolument visuelle, c’est parce qu’elle se veut universelle, tout comme son contenu. Si les images sur Instagram racontent des histoires, nous faisons l’hypothèse qu’entre l’histoire racontée par celle ou celui qui publie son cliché et la réception de ce dernier, il y a un éventuel décalage.

En effet, l’interprétation d’une image ne peut être que personnelle, donc plurielle, ce qui fait que la majorité du contenu publié sur Instagram est facile d’accès. Pour accueillir, pour interpréter une image, on fait appel à notre propre grille de lecture du monde et à notre imaginaire propre. Dès lors, Instagram, contrairement aux autres réseaux, débloquerait à la fois le phénomène d’auto-censure et celui de l’enfermement dans une bulle (algorithmique ou choisie), dans une communauté partageant exactement les mêmes idées et les mêmes valeurs que soi. Davantage qu’un journal intime donné à voir aux autres, Instagram serait-il un reflet de soi, un miroir où l’on voit ce qu’on a envie de voir ?

Quoi qu’il en soit, une image pourra ainsi « parler » à des personnes de toute culture, de toute classe socio-professionnelle, de tout idiome, de toute zone géographique, bref de tout horizon ! Chacun n’y verra ni n’en retiendra pas forcément la même chose, et ce n’est pas grave. Cela empêche notamment le risque de polarisation constaté sur les autres réseaux sociaux – Twitter et Facebook en chefs de file. Instagram devient ainsi un lieu de partage de symboles et de construction progressive d’un horizon symbolique commun. Par ailleurs, un réseau qui fonctionne comme un miroir de soi est plus réconfortant, davantage capable de débloquer la parole (ou plutôt l’image-parole). Le fait que le visuel, l’image représente la première fonction et le fonds de commerce d’Instagram explique au moins en partie son succès.

De nouvelles fonctions pour Instagram pour renforcer l’universalité de ses contenus

Depuis fin 2022, Instagram déploie une nouvelle fonctionnalité qui permet de donner une ambiance musicale aux photos sur le réseau. Ainsi, au même titre que pour les stories ou les reels, les utilisateurs ont désormais la possibilité d’accompagner leurs photos par un morceau sonore de leur choix. Quoi de mieux pour renforcer l’universalité des contenus sur Instagram, si ce n’est l’ajout d’un second langage universel ?

La musique est une part importante de l’expression sur Instagram, et nous sommes ravis d’offrir la possibilité d’ajouter de la musique aux publications photos dans le feed comme cela est possible avec Reels and Stories. Quel que soit le format qui fonctionne le mieux pour raconter votre histoire, vous pouvez désormais ajouter une bande-son à vos publications photos préférées pour leur donner vie ! explique Instagram dans sa publication annonçant sa nouvelle fonctionnalité.

Bien entendu, il n’est pas surprenant de voir Instagram développer davantage de fonctions axées sur la musique, laquelle est un élément clé du succès de son concurrent direct : TikTok. Sur la plateforme chinoise, les marques médianes gagnent un taux d’engagement moyen par abonné de 4,1 %, soit 6 fois plus que sur Instagram et bien plus que sur Facebook ou Twitter. Il s’agit d’ailleurs du réseau social qui enregistre la plus forte croissance de sa communauté en 2022. Si TikTok mise dès le départ non pas sur la photo, mais sur la vidéo comme typologie de contenu phare pour son réseau, l’usage qui en est fait – sans être exclusif – est particulièrement intéressant et ne vient que renforcer les idées exprimées jusqu’à présent. On trouve sur TikTok majoritairement de la danse et de la musique : là encore, pas besoin de parler pour se comprendre !


[1] Instagram a atteint plus de 1,2 milliard d’utilisateurs en 2022, avec environ 32 millions de nouveaux utilisateurs en un an. 

[2] Le taux d’engagement moyen sur Instagram en 2022 était de 1,9 % vs. 0,07 % pour Facebook ou encore 0,05 % pour Twitter.

[3] Voir la sociologie de Pierre Bourdieu les concepts « capital culturel » et « habitus »

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Digital Humanities

LinkedIn restera-t-il un réseau social professionnel ?

Vous est-il déjà arrivé de scroller votre fil d’actualité Facebook en étant plus ou moins inconsciemment persuadé d’être sur Instagram ? Vous est-il déjà arrivé d’enchaîner une série de Reels sur Insta avec la certitude de passer un petit bon moment sur TikTok ? Twitter, quant à lui, a depuis longtemps abandonné ce qui faisait sa spécificité – les fameux 140 caractères pour devenir une plateforme éminemment visuelle et motrice au même titre que les réseaux précédemment cités. Cet été, via l’implémentation d’une série de nouvelles fonctionnalités, LinkedIn aurait-il, lui-aussi, franchi le cap’ pour se ranger dans la vague uniformisatrice du web, au risque d’oublier sa fonction différenciante, celle d’être un réseau social professionnel ?

©Unsplash, Greg Bulla, LinkedIn company headquarters

Dans un monde du travail complètement transformé par la pandémie, LinkedIn, tout comme les autres réseaux sociaux, a connu en 2020 une forte hausse des connexions et du temps passé par les internautes sur sa plateforme. Besoin de combler la distanciation sociale liée au télétravail ? Besoin, plus que jamais, de performer et de se rendre visible professionnellement pour combattre le doute et l’incertitude ? Qu’importent les raisons. LinkedIn a quoi qu’il en soit décidé d’en tirer partie en offrant à ses utilisateurs de nouvelles fonctionnalités leur permettant de passer encore plus de temps sur sa plateforme. Un article de blog paru le 30 mars dernier signé par Tomer Cohen, Senior Vice President and Chief Product Officer chez LinkedIn, annonçait l’ensemble de ces transformations qui allaient être implémentées dès cet été. Les avez-vous remarquées ? Quelles sont donc ces nouvelles fonctionnalités de LinkedIn ?

Les « nouvelles » cover stories 

Désormais, à condition que vous le souhaitiez, votre photo de profil peut prendre vie en auto-play silencieux lors de n’importe quelle connexion à votre profil. Cela ne vous rappelle rien ? Techniquement identique à la cover video de Facebook et bien entendu bien semblable aux stories d’Instagram, cette fonctionnalité est tout de même marketée à vocation professionnelle. En effet, la vidéo de promotion de celle-ci met en avant quelques exemples où des professionnels en font usage pour parler de leurs services ou encore de leurs ambitions professionnelles.

©LinkedIn

Qu’en est-il de l’utilité réelle de cette fonctionnalité ? Les utilisateurs de LinkedIn vont-ils l’employer de la manière dont LinkedIn le préconise ? Qu’il s’agisse de la recherche d’emploi ou des activités de prospection, il paraît en effet intéressant, pour un éventuel employeur ou un client potentiel, d’avoir un aperçu de ce que vous êtes via cet outil. Cependant, deux risques sont associés à cette nouveauté : que les internautes la jugent soit trop semblable à ce que d’autres plateformes proposent déjà, soit peu professionnelle car trop exhibitionniste. Par ailleurs, si elle apparaît comme étant intéressante pour des professionnels de la communication, il peut paraître injuste de juger un ingénieur ou un analyste sur des compétences dans lesquels il n’est pas censé exceller.

Encore plus de streaming

Aussi, LinkedIn met encore plus le live à l’honneur ! Si vous utilisiez d’ores et déjà cette fonctionnalité, vous pourrez constater que désormais lors de vos transmissions live, ces dernières remplaceront provisoirement votre photo de couverture pour donner à vos contenus live encore plus de visibilité.

©LinkedIn

En effet, on estime que d’ici 2022, 82 % du trafic internet global viendra du streaming et du téléchargement de vidéos (Cisco, 2019), ce qui représente une augmentation de 72,3 % par rapport à 2017. Il n’est donc pas étonnant que LinkedIn se mette à la page et fasse du streaming un réel cheval de bataille.

L’introduction du Creator mode

Enfin, LinkedIn propose désormais un mode spécialement conçu pour les créateurs de contenu, autrement dit pour les leaders d’opinion. Comme indiqué sur son site, ce mode permettrait aux utilisateurs du réseau d’augmenter leurs audiences. Comment ? Une fois le mode créateur activé, le bouton « Se connecter » sera remplacé par le bouton « Suivre » et le nombre d’abonnés précis – et non plus le fameux « Plus de 500 relations » (qui jusqu’ici préservait les utilisateurs du diktat du nombre) – sera affiché dans l’introduction de votre profil. Au même titre que sur Twitter ou sur Instagram, vous pourrez aussi choisir d’afficher via des hashtags les sujets sur lesquels vous publiez du contenu. Par ailleurs, ce mode réorganisera votre profil pour afficher en premier lieu les sections « Sélection de contenus » et « Activité ».

Vous l’aurez compris, le Creator mode n’est rien d’autre que la sacralisation de l’influenceur sur LinkedIn. Mais qu’en est-il de la vocation initiale de ce réseau social professionnel ? Les influenceurs y ont-ils vraiment leur place ? Tomer Cohen ne cache même pas les intentions stratégiques de LinkedIn :

At the heart of our ecosystem is our creator community. People love to see creators give their take on what’s happening in the news or share insights into a specific industry — whether that’s a post, a video, an article, or even a comment. If this is you, check out the new creator mode in your Profile dashboard. 

Tomer Cohen, Vice President and Chief Product Officer Linkedin

Si les sujets professionnels spécifiques aux enjeux des différentes industries seront toujours tolérés, il est attendu de ces influenceurs qu’ils expriment leurs points de vue notamment sur l’actualité et l’information.

Mais politiser et polariser les échanges sur LinkedIn ne risque-t-il pas d’être contre-productif sur un réseau où la raison de notre inscription était avant tout celle de rester en contact avec d’autres professionnels ? Par ailleurs, distribuer et commenter l’actualité n’est-t-il pas déjà le hobby principal des internautes sur d’autres réseaux comme Twitter ou Facebook ? Sur un marché du social où l’uniformisation est la norme, en essayant de faire comme les autres, LinkedIn ne risque-t-il pas la noyade ?


Pour résumer, beaucoup de vidéo, plus de personnalisation, de mise en avant de soi et des arguments de « vente » à prime abord plutôt bien bâtis. Mais qu’en est-il de l’utilité réelle de ces nouveautés ? Ces nouvelles fonctionnalités, qui rapprochent encore plus le fonctionnement de LinkedIn de celui d’autres médias sociaux, ne risquent-elles pas de modifier structurellement la vocation professionnelle initiale de ce réseau ? Il n’y a que le temps qui puisse confirmer ou infirmer cette hypothèse. Le temps et surtout nos usages ! En conclusion, on ne peut que rappeler à quel point la récente histoire du développement des grandes plateformes nous a prouvé que les volontés des fondateurs et des PDG ne sont que des inflexions minimes, et que, pour analyser les évolutions du numérique dans son ensemble, il est absolument indispensable de passer par une sociologie des usages. Alors quels sont les vôtres ? Avez-vous remarqué ces nouvelles fonctionnalités de LinkedIn ? Les utilisez-vous ? Preneuse d’insights en commentaire ! 

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Citoyenne éclairée Digital Humanities

Google est-il sexiste ?

Just go and google it! Rien de plus naturel dans notre quotidien à tous… Les chiffres le prouvent puisqu’avec ses 92,5 milliards de visites mensuelles, le moteur de recherche est, de loin, le site le plus visité au monde. Sa mission ? « Organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre accessibles et utiles à tous »[1]. Mais selon quelles logiques ? L’algorithme de Google est-il infaillible ? Et si les « réponses » de Google à nos requêtes comportaient un biais sexiste ? C’est en tout cas l’hypothèse que nous allons tester dans ce papier.

©Unsplash Reza Rostampisheh

Le point de départ de cette réflexion est constitué par une interrogation très concrète : ayant lancé en janvier dernier un site intitulé « Citoyenne éclairée » (citoyenne-eclairee.com) dont le référencement naturel est plutôt bien travaillé, je me suis rapidement aperçue qu’alors que le site ressortait en première position sur Google en réponse à la requête citoyenne éclairée, il ressortait seulement en page 17 à la requête formulée au masculin, citoyen éclairé. Pourtant, en réponse à la requête formulée au féminin, des sites positionnés sur ces mots clés au masculin ressortaient, quant à eux, en première SERP. Une citoyenne éclairée ne ferait-elle pas partie selon Google des citoyens éclairés au même titre que n’importe quel autre citoyen éclairé ?

Sans rentrer dans le débat sur l’écriture inclusive, en français la règle grammaticale est que le masculin l’emporte lorsqu’il y a des hommes et des femmes dans un groupe. Cela veut dire donc que le masculin est inclusif, tandis que le féminin, lui, exclut le masculin.

Si on retranscrit cette règle grammaticale de manière bête et méchante dans notre usage des moteurs de recherche, on s’attendrait donc à ce qu’une recherche formulée au masculin comporte des résultats formulés à la fois au masculin et au féminin, et à ce qu’une recherche formulée au féminin comporte des résultats exclusivement au féminin. Est-ce bien ce qui se passe ? 

Reprenons notre exemple initial qui prenait comme référence la position du site citoyenne-eclairee.com sur Google. Voici ce que l’on observe en comparant les résultats de différents moteurs de recherche, selon la formulation de la requête au féminin ou au masculin :

 citoyenne éclairée
citoyen éclairé
GoogleSERP 1 (position 1) – environ 1 060 000 résultats
la SERP 1 affiche des résultats qui renvoient aux formulations « citoyen éclairé » et « citoyenneté éclairée »
SERP 17 – environ 5 860 000 résultats
renvoi vers une page du site qui affiche en gras le syntagme au pluriel masculin « citoyens éclairés »
Yahoo!SERP 1 (position 1)
la SERP 1 affiche des résultats qui renvoient à des formulations comme « citoyens éclairés » et « citoyen éclairé »
SERP 1 (position 8)
renvoi vers une page du site qui affiche en gras le syntagme féminin singulier « citoyenne éclairée »
BingSERP 1 (position 1)
231 000 résultats
la SERP 1 affiche des résultats qui renvoient à des formulations comme « citoyens éclairés » et « citoyen éclairé »
SERP 1 (position 8) – 279 000 résultats
renvoi vers une page du site qui affiche en gras le syntagme féminin singulier « citoyenne éclairée »
QwantSERP 1 (position 1)
la SERP 1 affiche des résultats qui renvoient à des formulations comme « citoyens éclairés » et « citoyen éclairé »
SERP 1 (position 2 et 7) – 278 000 résultats  
renvoi vers 2 pages du site qui affichent en surligné la formulation au féminin du syntagme
EcosiaSERP 1 (position 1)
233 000 résultats La SERP 1 n’affiche que des formulations au féminin singulier ou au pluriel : « citoyens éclairés »
SERP 1 (positions 2 et 6)
renvoi vers 2 pages du site qui affichent en surligné la formulation au féminin du syntagme
Position du site citoyenne-eclairee.com sur les moteurs de recherche et analyse des liens bleus proposés en SERP 1

A la lecture de ce tableau qui compare la position du site citoyenne-eclairee.com dans les SERPs des cinq moteurs de recherche les plus utilisés en France[1] on s’aperçoit que tandis que Yahoo!, Bing, Ecosia et Qwant affichent le site en première page de résultats indépendamment du genre choisi pour la requête, Google quant à lui, en réponse à la requête formulée au masculin réserve au site Citoyenne éclairée une place en 17ème page de son moteur de recherche. A prime abord, tout laisse penser que de manière contre-intuitive, chez Google le féminin serait inclusif et ferait afficher des résultats formulés au féminin et au masculin, tandis que le masculin serait exclusif et ne ferait afficher que des résultats formulés au masculin.

Est-ce suffisant pour affirmer que l’algorithme de Google comporte un sérieux biais sexiste ?

Notre première intuition a été de considérer cette différence de position du site pourrait se justifier essentiellement par le fait que Google indexe un plus gros volume de pages que ses concurrents, ainsi que par le fait que les producteurs de contenus écrivent plus souvent nos deux mots clés au masculin (environ 5 860 000 résultats pour la requête citoyen éclairé) qu’au féminin (environ 1 060 000 résultats pour la requête citoyenne éclairée). Par ailleurs, connaissant l’importance de son fameux PageRank[2] dans le fonctionnement de son algorithme, s’agissant d’un site relativement nouveau sans politique de netlinking fortement développée, on conçoit que Google ne puisse pas le faire apparaître en première SERP… Mais en 17ème ?! Autant dire, que l’internaute qui cherche une citoyenne éclairée en tapant sur Google citoyen éclairé, n’a strictement aucune chance de la trouver ! Une blague dans le domaine du SEO veut que pour cacher un cadavre, il suffise de le cacher en deuxième page des résultats Google.

Mais alors Google est-il sexiste, oui ou non ?

Impossible de tirer des conclusions à partir d’un seul et unique exemple ! Dès lors, nous avons constitué un mini corpus pour vérifier l’hypothèse initiale dans une optique moins nombriliste ! J Nous avons donc analysé les résultats affichés en SERP 1 de Google selon les formulations au masculin et au féminin de quelques autres requêtes : metteur en scène vs. metteuse en scène, consommateur responsable vs. consommatrice responsable, créateur meuble vs. créatrice meuble, électeur informé vs. électrice informée etc.

Pour plus de lisibilité, nous analyserons seulement 2 de ces exemples :

  • électeur informé vs. électrice informée
 électeur informéÉlectrice informée
Googlela SERP 1 de Google affiche des résultats qui renvoient à des pages de sites qui ont trait aux élections et à ceux qui expriment leur volonté politique aux urnes.Pour Google l’internaute qui tape électrice informée dans sa barre de recherche cherche, sans doute aucun, des informations au sujet de l’électricité ou des trottinettes électriques.
Yahoo!la SERP 1 de Yahoo ! affiche des résultats qui renvoient à des pages de sites qui ont trait aux élections et à ceux qui expriment leur volonté politique aux urnes.Pour Yahoo! il y a un doute. Si les liens bleus en SERP 1 renvoient vers des pages de sites qui ont trait aux questions électorales, les aperçus d’images en haut de la page proposent quant à eux des trottinettes électriques…
Bingla SERP 1 de Bing affiche des résultats qui renvoient à des pages de sites qui ont trait aux élections et à ceux qui expriment leur volonté politique aux urnes.Bing propose en premier résultat une page référencée sur le mot clé électricien, mais arrive, à la différence de Google, à isoler des pages ayant trait aux questions électorales et à celles qui expriment leur volonté politique aux urnes.
Qwantla SERP 1 de Qwant affiche des résultats qui renvoient à des pages de sites qui ont trait aux élections et à ceux qui expriment leur volonté politique aux urnes.Si les liens bleus en SERP 1 ont exclusivement trait aux élections et à celles qui vont aux urnes pour exprimer leur volonté politique, la sélection d’image de Qwant renvoie aussi vers des photos de trottinettes électriques…
Ecosiala SERP 1 d’Ecosia affiche des résultats qui renvoient à des pages de sites qui ont trait aux élections et à ceux qui expriment leur volonté politique aux urnes.la SERP 1 d’Ecosia affiche exclusivement de résultats qui renvoient à des pages de sites qui ont trait aux élections et surtout à celles qui expriment leur volonté politique aux urnes (la plupart des mots clés surlignés en gras sont formulés au féminin).

Pour résumer, sur les 5 moteurs de recherche en question, le seul et unique qui ne comprend pas la formulation au féminin du syntagme « électeur informé » – et donc est incapable de proposer des résultats pertinents pour la requête – est Google. Alors que Yahoo!, Bing et Qwant proposent des liens pertinents par rapport à la requête au féminin, leur fonctionnalité images confond les électrices informées et les trottinettes électriques. Ecosia nous apparaît comme le moteur de recherche le plus pertinent sur cette requête.

  • auteurs philosophie vs. autrices philosophie

Une fonctionnalité que le seul moteur de recherche Google propose pour améliorer l’expérience utilisateur a retenu toute notre attention. Il s’agit d’une liste de portraits de philosophes qui nous est proposée comme accueil de la SERP 1 pour les deux requêtes. Avec 51 entrées, la requête formulée au masculin recense 50 hommes et 1 seule et unique femme – Hannah Arendt, dont le portrait en question pourrait d’ailleurs porter à confusion. La liste affichée en réponse à la requête formulée au féminin est, quant à elle, un peu plus diversifiée ; cependant, ce sont toujours les illustres figures masculines qui l’emportent, tant quantitativement (sur les 51 entrées de cette nouvelle liste, seules 16 philosophes sont des femmes) que qualitativement (avec en tête de liste un homme : Jean-Paul Sartre). Là encore, à une exception près, il semble que, faisant fi de la règle grammaticale, l’algorithme de Google considère que le masculin est exclusif alors que le féminin, lui, accueille la gente masculine.

La contribution des femmes à toute œuvre collective et/ou individuelle semble ainsi subir une double peine. Invisibilisées dans les textes en raison d’une langue intrinsèquement porteuse d’une réalité historique multiséculaire, sur le web, elles sont à nouveau invisibilisées par l’algorithme d’un moteur de recherche comme Google, alors même que nos requêtes cherchaient à les faire découvrir en priorité. Au regard de l’influence que ce moteur de recherche, plébiscité par la plupart, a dans la perpétuelle construction de nos représentations, il serait intéressant que cette problématique puisse être traitée de manière transparente par les ingénieurs et informaticiens de chez Google. A défaut de modifications structurelles, des explications !

La toile regorge d’autres exemples qui dénoncent le fonctionnement du moteur de recherche qui répliquerait dans son fonctionnement des biais sexistes ou racistes pré-existants :

Et vous ? Auriez-vous découvert d’autres exemples concrets qui contribueraient à dénoncer un éventuel biais sexiste de l’algorithme du moteur de recherche star ? Partagez-les en commentaire ou sur les réseaux sociaux en utilisant les hashtags #GoogleSexiste et #CitoyenneEclairée !


[1]D’après la page de présentation de la société sur : https://about.google/

[2] Les moteurs de recherche les plus populaires en France, Statistia.

[3] Le PageRank ou PR est l’algorithme d’analyse des liens concourant au système de classement des pages Web utilisé par le moteur de recherche Google. Il mesure quantitativement la popularité d’une page web. Le PageRank n’est qu’un indicateur parmi d’autres dans l’algorithme qui permet de classer les pages du Web dans les résultats de recherche de Google. Ce système a été inventé par Larry Page, cofondateur de Google.

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Digital Humanities Sociologie des médias

La double mainmise sur l’espace public. Réflexion.

Qu’il s’agisse de l’intimidation et de la répression opérées auprès des journalistes de Canal+ ou encore de la suspension et de la censure de plusieurs comptes féministes sur Twitter, Instagram et Facebook, l’actualité de ces dernières semaines ne manque pas de nous rappeler à quel point la question de la liberté d’expression et de la mainmise sur l’espace public est devenue aujourd’hui essentielle. Contrairement aux idéaux universalistes qui voyaient dans l’avènement de l’ère internet la possibilité d’une évolution positive permettant plus de pluralité et de représentativité dans la configuration de l’espace public, le début du XXIe siècle marquerait-il paradoxalement le renforcement d’une double mainmise économique sur ce dernier ?

©Unsplash, @Samule

Information, pouvoir et promesse démocratique

La parole : une distribution inégalitaire au fil des époques

Depuis que les sources nous permettent de rentrer dans l’histoire, la parole est associée à la notion de pouvoir. D’abord prononcée, ensuite écrite, elle semble être, à chaque époque, ce qui matérialise le fossé entre ceux qui accèdent au pouvoir et au « droit » de dire le monde et ceux qui sont invisibilisés dans la masse et inaudibles, car la foule n’a pas de mode d’expression autre que la clameur de joie ou de colère.

Ainsi, dans la démocratie athénienne, la parole, l’information et la chose publique étaient l’apanage des citoyens réunis sur l’Agora, les esclaves, les femmes et les métèques y étant exclus. A l’époque féodale, le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel s’octroyaient et se partageaient ces prérogatives. Au sein de la démocratie représentative censée caractériser – au moins dans les textes ! – nos systèmes d’organisation politique et sociale actuels, la parole publique est d’abord l’apanage des représentants de la nation à l’Assemblée, et, de plus en plus, de celles et ceux qui en vertu d’une influence ou d’une expertise particulière prennent la parole dans de nouvelles « arènes » d’expression du pouvoir, notamment dans les médias.

L’espace public : un lieu d’exercice du contre-pouvoir

Parler de parole publique revient à parler d’espace public. Dans son ouvrage le plus connu, L’espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise (1962), Habermas décrit le processus au cours duquel le public constitué d’individus faisant usage de leur raison s’approprie la sphère publique contrôlée par l’autorité et la transforme en une sphère où la critique s’exerce contre le pouvoir de l’État. En effet, selon lui, l’espace public naît des activités de communication de la société bourgeoise des XVII-XVIIIe siècles. Les réunions de salon et les cafés étaient en effet des endroits propices à la multiplication des discussions et des débats politiques relayés par les médias de l’époque : relations épistolaires et presse naissante.

L’information : le journalisme et la promesse démocratique

En France, si sous l’Ancien Régime les premières publications (La Gazette etc.) étaient l’instrument de communication du pouvoir monarchique, c’est à la Révolution que le principe d’une presse libre voit le jour pour la première fois. L’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen pose que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement ».

 C’est de ce principe que naît ce que nous appelonscommunément aujourd’hui le contre-pouvoir ou le quatrième pouvoir dans l’État, celui des médias et des journalistes. En réalité, les démocraties représentatives actuelles ne tiennent qu’à la croyance dans l’indépendance de ce contre-pouvoir et dans sa capacité à permettre à chacun de se tenir au courant des affaires de la cité. Comme Julia Cagé et Benoît Huet l’affirment, « l’information est un bien public indispensable au bon fonctionnement de nos démocraties »[1].

L’espace public, l’apanage des puissances économiques ?

Transition d’une mainmise politique vers une mainmise économique

Le XXe siècle est marqué par plusieurs révolutions qui secouent le journalisme et questionnent son rôle en profondeur. Après la radio, la démocratisation de la télévision rebat entièrement les cartes du jeu, d’autant plus que la France en fait un monopole d’État pendant plusieurs années.[2] « Informer, éduquer, distraire » voici les raisons d’être affichées de ce nouveau média qu’Alain Peyrefitte, ministre de l’Information de l’époque, résume par la célèbre phrase qu’il prononce lors de l’inauguration du nouveau JT : « La télévision c’est le gouvernement dans la salle à manger de chaque Français. »

Les années 80 marquent en Europe ce que nous appelons en science politique le tournant néo-libéral. L’économie de marché s’emballe et l’information à la télévision, dégagée du poids politique, subit désormais de nouvelles contraintes, cette fois économiques et commerciales ; le diktat de l’audimat érige une place de choix au divertissement, au détriment de l’information.

Cela ne se passe pas de manière linéaire, mais on observe une tendance forte : la connivence politico-médiatique est peu à peu remplacée par une connivence économico-médiatique. On assiste ainsi à un transfert de mainmise sur l’espace public.

Concentration des médias…

Mais en quoi cette mainmise économique consiste-t-elle ? Au-delà de la connivence entretenue entre certains acteurs[3] ou encore des pratiques courantes dans le métier[4] pouvant créer des situations d’influence avec des répercussions sur l’information, c’est surtout la forte concentration des médias à laquelle on assiste en France depuis une dizaine d’années qui nous apparaît comme particulièrement dangereuse.

En effet, les grands industriels et, de manière globale, les plus grosses fortunes ont souvent eu tendance à acquérir des groupes de presse. Jeux d’influence, positionnement, cadrage, droit à la parole, mainmise, pouvoir. La tendance est particulièrement virulente dans les pays de l’Est à la chute du mur, où les espaces du possible s’ouvrent soudainement. Sur le terrain de la transition et du « non-droit », les médias « libres » (le contre-pouvoir) voient le jour sous la houlette de la nomenklatura, la nouvelle élite économico-politique, puis des grands trusts mondiaux. Une étude de cas sur la naissance de l’espace public démocratique et des médias libres en Roumanie ou en Ukraine, pour ne prendre que deux exemples, mériteraient dans ce sens une attention toute particulière.

La tendance se confirme également en France, et encore plus fortement ces dix dernières années : aujourd’hui 90 % des médias sont détenus par neuf personnes ou familles qui font partie des 100 plus grosses fortunes du pays. A le lire, on pourrait croire que financièrement les médias se portent plus que bien… Or, en s’y penchant de plus près, on s’aperçoit qu’aucune de ces grandes fortunes n’a comme origine le pendant lucratif de l’industrie médiatique. Depuis les années 2000, avec l’avènement du 2.0, le cocotier des médias a été durablement secoué et, aujourd’hui encore, les rédactions peinent à trouver des modèles économiques leur garantissant à la fois sécurité financière et indépendance. En effet, l’ensemble des magnats des médias en France sont en réalité des industriels dont le cœur de métier n’a rien à voir avec la presse ou l’audiovisuel. Pour ne rappeler que quelques cas flagrants :

IndustriesMédiasFamilles
BTP, télécomsTF1, LCI…Bouygues
Transport, logistique, énergieCanal +, C8, CNews etc..Bolloré
Luxe (LVMH)Les Echos, Le ParisienArnault
Industrie aéronautiqueLe FigaroDassault
TélécomsLibération, BFM Tv…Drahi

Pour un panorama exhaustif rendant compte de la concentration de l’industrie médiatique, Le Monde Diplomatique en collaboration avec Acrimed ont réalisé une infographie qu’ils prennent le soin de mettre à jour au rythme des rachats intempestifs :

©Acrimed, Monde diplomatique, seizième version d’une infographie évolutive dont la première version a été publiée le 6 juillet 2016.

A la lecture de cette infographie, ce qui frappe c’est avant tout la forte convergence entre les réseaux et les contenus. Pour ne prendre qu’un exemple, trois des 4 plus grands opérateurs de téléphonie mobile et d’accès internet en France – SFR, Bouygues Télécom et Free mobile sont les entreprises de grands détenteurs de médias :  Patrick Drahi, la famille Bouygues et Xavier Niel. Infrastructures, médias et contenus ne semblent plus faire qu’un. Quel impact sur l’information avec un grand I ?

…rime-t-elle avec emprise sur l’espace public ?

Au niveau individuel, cette concentration médiatique crée des effets d’auto-censure inévitables de la part de certains journalistes soucieux de conserver leur position au sein des rédactions. Plus les monopoles deviennent puissants, plus la concentration médiatique devenue systémique pose un réel problème de mainmise économique sur l’espace public, avec des effets indésirables inscrits dans le temps long. La course à l’acquisition des médias transforme l’industrie médiatique en une industrie comme les autres, soumise aux règles de la concurrence. Des postes de contrôleurs de gestion sont créés à tous les échelons, y compris dans les rédactions, et les budgets destinés à la recherche et au traitement de l’information sont réduits. Pour les nouveaux industriels des médias, l’information, devenue un produit, est soumise aux mêmes règles d’abaissement des coûts, lesquelles entrent en contradiction avec les normes et les standards nécessaires à la production de l’information, pourtant vitale à nos démocraties.

Dans leur course au low-cost et à l’uniformisation, les médias reflètent une idéologie à part entière, caractérisée par une mise en avant de l’individu tout puissant, un rapport linéaire au temps et une forte pensée utilitariste… avec des répercussions très fortes sur le politique et sur l’état de santé démocratique de l’espace public.

Mais le cadre national nous permet-il encore de réfléchir entièrement la question d’une mainmise sur l’espace public ? Peut-on encore en 2021 tenter de contenir ce concept aux frontières floues aux frontières d’un État-nation ? Nous faisons ici l’hypothèse d’un double étage, d’une double mainmise sur l’espace public, lequel s’élargit au fur et à mesure de l’amplification de nos interconnexions.

Le double étage ou la « supra-mainmise » des géants du numérique sur l’espace public

Une inadéquation d’échelle ?

Nous l’avons vu, la financiarisation et les concentrations font peser des dangers sur le traitement de l’information, sur l’indépendance des journalistes et sur le pluralisme des idées, ce qui fait croître inexorablement la méfiance de la société civile envers ceux qui sont tacitement mandatés dans les démocraties pour effectuer le travail critique face au pouvoir.

Et si la méfiance était également le fait d’une inadéquation d’échelle ? Lorsque les flux financiers sont mondiaux, lorsqu’avec une épidémie comme celle du Coronavirus, nous prenons d’un coup conscience de notre interdépendance à l’échelle mondiale, lorsqu’avec un peu de recul, on accepte que les enjeux du siècle[5] ne peuvent se concevoir qu’à l’échelle planétaire, on est forcé de constater que l’échelle nationale semble inefficace pour réfléchir le monde de manière efficace.

Cette inadéquation d’échelle est d’ailleurs rendue criarde à partir des années 2010 avec l’avènement de l’ère des médias sociaux, qui semblaient dans un premier temps constituer le paroxysme de l’idéal universaliste de Tim Berners Lee lorsqu’il inventait le World Wide Web : rapprocher les gens et faire circuler librement l’information.

Cet idéal semble encore aujourd’hui nourrir les ambitions affichées des géants du numérique. La signature de Google l’énonce très clairement : « Notre objectif est d’organiser les informations à l’échelle mondiale pour les rendre accessibles et utiles à tous »[6]. En effet, à bien y réfléchir, Google, Facebook & co. sont tout simplement devenus les plus grands éditeurs au monde et cela impacte directement l’activité et les recettes des entreprises de presse. Fortes d’un très grand nombre d’utilisateurs dont les données leur ont fourni un avantage stratégique capable d’annihiler toute concurrence aussi sérieuse soit-t-elle, ces plateformes se sont imposées petit à petit en suscitant un engouement sans précédent presque partout dans le monde[7].

Les GAFAM ou le double étage

Comme nous l’abordions déjà avec précision dans un article-manifeste proposant une critique du flux inhérent à l’ensemble des plateformes sociales, les GAFAM, via leurs algorithmes et leurs choix stratégiques, décident aujourd’hui de l’information à diffuser, des sources à mettre en avant et des formats à privilégier.

Vous l’aurez compris, là où, à l’échelle nationale, une mainmise économique s’exerce au sein d’un certain nombre de rédactions pour préserver des réputations ou encore pour favoriser des intérêts particuliers, à l’échelle internationale en revanche, la mainmise sur l’espace public est régie par des algorithmes dont personne ne connaît réellement le fonctionnement.

Au premier étage, on assiste à des phénomènes assez classiques de pressions ou d’autocensure. Au deuxième étage, les ambitions sont bien différentes : il s’agit de classifier, d’organiser, et de donner à voir. Au premier étage, l’audience est limitée à la fois par le cadre national et par l’ancrage idéologique des médias. Au deuxième étage, l’audience est potentiellement planétaire malgré l’éventuelle barrière de la langue et l’existence de stratégies nationales menées par les GAFA.

Au premier étage les enjeux économiques sont forts. Au deuxième étage ils le sont d’autant plus, car nous constatons une certaine dépendance entre l’économie classique et l’économie numérique qui vient la surplomber.

Par ce jeu d’interférences et d’intermédiation, le double étage semble en effet fortement interpénétrer le premier et y exercer une forte domination. Comment ?

Si la totalité des médias ont cherché à jouer le jeu des plateformes à un moment où le numérique venait ébranler la profession, c’est parce que ces dernières apparaissaient aux industries médiatiques comme des alliées fiables et incontournables. Sans chercher à faire une démonstration d’économie numérique déjà faite ailleurs[8], rappelons les grandes étapes qui ont renforcé la mainmise des géants du numérique sur l’espace public :

  • Au début des années 2000, la démocratisation d’internet s’accompagne en apparence par la poursuite de sa promesse initiale liée à l’accessibilité de l’information notamment à travers le principe de gratuité du web.
  • La plupart des contenus d’information, anciennement payants (au tarif de la publication papier) deviennent gratuits pour leurs lecteurs connectés.
  • L’ensemble des éditeurs, tous secteurs confondus, deviennent concurrents sur un seul et unique marché – la publicité. Le modèle économique ? Rattraper le coût de production de l’information à travers le versant publicitaire. Ainsi, plus le média jouissait d’une forte audience (trafic), plus les recettes étaient élevées.
  • Ce mouvement a bien entendu affecté les consommateurs d’information et de contenus, puisque la gratuité est devenue presqu’une évidence[9].
  • Au milieu des années 2000, les premiers réseaux sociaux voient le jour. Ils semblent alors bel et bien être la progéniture fidèle du www, et la gratuité de leurs services semble être dans leur ADN. Sur son formulaire d’inscription, Facebook mentionnait jusqu’en 2019 la célèbre phrase : « c’est gratuit et ça le restera toujours ».
  • Dans leur quête d’audiences, les médias ont vite investi les réseaux sociaux, avec l’ambition d’en faire un lieu d’information ; les usagers en ont manifestement fait un espace de partage et d’accès à l’actualité…
  • Ce n’est qu’au milieu des années 2010, lorsque les présences sur les réseaux sociaux faisaient l’objet de véritables stratégies de diffusion de l’information de la part des médias, que les plateformes ont virulemment investi le pendant publicitaire de leurs activités. Plusieurs choix stratégiques à rappeler :
  1. Fortes des données utilisateurs récupérées au fil d’une décennie, les plateformes investissent les publicités ciblées comme nul autre acteur du web ne l’avait fait jusqu’alors.
  2. On assiste à des modifications structurelles des algorithmes d’affichage des publications ; seules les publications sponsorisées émergent quantitativement dans les flux des usagers
  3. Via les évolutions techniques successives des plateformes, les géants du web font en sorte de retenir davantage les utilisateurs dans le flux de leurs services ou sur des pages pop-in internalisées[10], les empêchant de quitter leur environnement pour des sites d’information par exemple.

L’ensemble de ces évolutions stratégiques ont complètement faussé toute possibilité de concurrence loyale sur le marché de la pub. Ces géants du numérique se sont partagé les plus grosses parts du gâteau, puisqu’ils sont devenus des portails d’accès aux contenus, de véritables prescripteurs d’information. Aux médias les miettes, à eux de se réinventer une nouvelle fois et de trouver des modèles économiques leur permettant de survivre.

Le spectre d’une hégémonie algorithmique

En se positionnant en instances de classification, Google, Facebook, Twitter & co. deviennent les nouveaux gatekeepers[11] de l’espace public, alors qu’ils ne produisent guère l’information ni n’en assument la responsabilité.

Et si les internautes étaient allés sur ces plateformes justement grâce aux contenus offerts par les médias ? Dès lors, ne serait-il pas juste de penser que ce n’est pas aux industries médiatiques de payer pour se rendre visibles sur ces plateformes, mais plutôt à ces plateformes de payer pour pouvoir indexer l’information qui fait leur richesse ?

C’est ce que l’ensemble des débats sur les droits voisins semblent mettre en avant. En effet, les éditeurs du monde entier cherchent à obtenir une contre-partie financière de la part des GAFA pour les contenus qu’ils ont créés. Le bras de fer est violent, comme l’a montré la récente censure par Facebook de l’ensemble des médias d’information australiens. Dernièrement les géants du numérique ont cédé à des accords bilatéraux avec un certain nombre d’éditeurs – le plus souvent les plus notoires de chaque pays – ce qui risque de menacer la pluralité des idées, la liberté d’expression, et qui questionne directement nos démocraties. Si seuls les plus grands sont financés pour leurs contenus par Facebook, Google et co., seuls les plus grands survivront – les plus grands qui subiront encore plus fortement cette double mainmise économique qui dénature l’espace public et le visage même de la démocratie.

D’où provient cette terrible vague qui menace d’emporter avec elle tout ce qui est coloré, tout ce qui est particulier dans nos vies ?

Stefan Zweig, L’uniformisation du monde, 1925

Uniformisation des contenus pour répondre aux exigences des plateformes, surpression de la pluralité des points de vue nécessaires pour permettre à des citoyens de s’informer et d’être éclairés sur les enjeux du monde… quels sont les autres risques de cette supra mainmise des géants du numérique sur l’espace public conçu à l’échelle planétaire ?

Nous avons été nombreux à nous « réjouir » début janvier à la nouvelle de la suppression du compte Twitter de Donald Trump. La décision avait pourtant un caractère symbolique fort. Twitter a prouvé avoir le pouvoir de censurer la parole du président des États-Unis. A mon sens, c’est le signal d’un tournant extrêmement dangereux pour la liberté d’expression.

Février, mars, avril n’ont fait que confirmer le phénomène, puisque nous avons assisté assez passivement à un renforcement de ce que je vais appeler un caractère autoritaire des plateformes sociales. En effet, sous prétexte de se ranger du bon côté de l’histoire et de chercher à combattre les maux de la société numérique – fake news, désinformation, propos haineux, trolling – ces plateformes s’octroient désormais le droit de décider à qui donner la parole, quand et sur quels sujets[12].

En réalité, pour que cette mainmise devienne totale il ne manquerait à mon sens plus qu’une chose : que Google, Facebook & co. se mettent à créer leurs propres contenus informationnels, ce qui ne semble pas complètement dystopique lorsqu’on regarde les évolutions de positionnement de plateformes comme Netflix ou Amazon… Si ces géants se sont d’abord imposés en ayant recours à l’intermédiation pour faciliter la rencontre de l’offre et de la demande, chacun dans son champ, ils ont rapidement changé de posture. Netflix s’est ainsi transformé dans un créateur de contenus presque à part entière, qui via la diffusion privilégiée de ses fictions structure et diffuse de nouveaux archétypes, crée de nouvelles représentations du social, du politique…

La course à l’hégémonie culturelle sera-t-elle remportée par les algorithmes ?

Assisterait-on à une nouvelle colonisation, à une colonisation par le nombre, algorithmique, qui s’exerce à un deuxième étage -dans le numérique – mais qui résonne fortement dans le réel, de manière à questionner nos organisations économiques, politiques et sociales ?


[1] Julia Cagé, Benoît Huet, L’information est un bien public, Seuil, 2021

[2] Court historique du monopole étatique sur les ondes :

  • 27 juin 1964 : création de l’Office de radiotélévision française (ORTF) comme établissement de service public national.
  • 3 juillet 1972 : reprise en main de l’ORTF après une ébauche de libéralisation en 1968 et 1969 sous le gouvernement de Jacques Chaban-Delmas. Le service public national de radiodiffusion-télévision est déclaré monopole d’Etat.
  • 7 août 1974 : éclatement de l’ORTF en sept sociétés indépendantes : quatre sociétés nationales de programme (TF1, A2, FR3, Radio-France), un établissement public de diffusion (Télédiffusion de France, TDF), une société de production (SFP) et un Institut national de l’audiovisuel (INA). Même si elle instaure les principes de concurrence entre les chaînes, la loi maintient le monopole d’État.
  •  9 novembre 1981 : loi sur l’octroi de dérogations au monopole d’Etat.
  • 29 juillet 1982 : fin du monopole et création de la Haute autorité. Cette dernière accorde les autorisations d’exploitation des stations de radio et de télévision, nomme les présidents des chaînes publiques, établit le cahier des charges et veille aux règles de concurrence.

[3] En s’intéressant de près à la sociologie des acteurs, on s’aperçoit que les élites journalistiques, économiques et politiques ont des profils socio-culturels très semblables et ont souvent fréquenté les mêmes écoles et lieux de socialisation secondaire. De ce fait, des situations de connivence, d’emprise, censure ou auto-censure peuvent aisément avoir lieu à un niveau individuel.

[4] Les départements relations presse des grandes entreprise connaissent l’importance de soigner les relations avec les journalistes spécialisés dans le secteur de leur entreprise. Pour des lancements très spécifiques, les entreprises ont souvent recours à des voyages de presse, des conférences organisées dans des conditions particulières etc qu’ils proposent à des journalistes invités. Dans ce cadre, il se pourrait que certains accueils particulièrement chaleureux puissent influencer le traitement d’un papier.

[5] L’urgence écologique et la lutte contre les inégalités

[6] D’après la page de présentation de la société sur : https://about.google/

[7] Certains États, dont la Chine ou la Russie, proposent des plateformes nationales. Quelques exemples : Baidu est le « Google chinois » tandis que VKontakte est le « Facebook russe ».

[8] L’absentéisme systémique. Un trait de figure des GAFA ? Voir la deuxième partie de l’article « Covid-19 : qu’ont fait les GAFA pour nous dans cette période ? » sur le site Citoyenne éclairée.

[9] On voit aujourd’hui à quel point des rédactions indépendantes peinent à s’assurer une sécurité financière en réintroduisant la tarification des contenus notamment à travers la vente d’abonnements (chercher article campagnes de crowdfunding Arrêt sur images ?)

[10] (qui affichent des contenus qui ne leur appartiennent pas)

[11] L’expression gatekeeping ou gardien en français désigne dans le domaine de la communication, les intermédiaires chargés de gérer l’accès de certaines informations ou événements à la sphère publique, par le choix de la médiatisation. Par exemple, les journalistes sont des gatekeepers qui jouent le rôle de « portier » : ils laissent entrer certaines informations dans le champ public, et en bloquent d’autres.

[12] Twitter censure des messages sur la pandémie à la demande du gouvernement indien.

Facebook et Twitter se comportent comme des ennemis de la liberté, donc de la démocratie

Censure : 14 féministes assignent Instagram en justice : « On ne peut plus subir ce deux poids, deux mesures »

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Facebook – nouvelle ère, nouvelles fonctionnalités, nouvelles ambitions

Alors que 1,7 milliard de personnes à travers le monde sont contraintes de rester chez elles pour endiguer la propagation du nouveau coronavirus, les statistiques d’utilisation des médias sociaux explosent. Facebook n’y fait pas défaut. Ce réseau, jugé depuis quelques années comme étant poussiéreux ou has been, est peut-être le grand gagnant de la crise puisqu’il connaît un retour en force dont la plateforme compte tirer parti, comme en témoignent ses toutes nouvelles fonctionnalités. Le Covid-19 marquerait-il un tournant pour Facebook à la recherche d’un nouveau positionnement sur le marché de l’économie numérique ? 
Mark Zuckerberg
©Unsplash, Annie Spratt, Facebook

Devenus des outils indispensables pour maintenir le contact avec nos proches pendant le confinement, les réseaux sociaux ne font pas partie des secteurs fortement impactés par la crise économique liée au Covid-19. En effet, comme le montre une étude de Kantar, dans les dernières phases de la pandémie, la navigation globale sur le web a augmenté de 70 %. De même, le temps passé sur les médias sociaux a également connu une hausse de 61 % par rapport aux taux d’utilisation observés habituellement. Si Whatsapp, la plateforme de messagerie de Zuckerberg, est l’application de médias sociaux dont l’utilisation a le plus progressé, Facebook et Instagram ont tous deux connu une augmentation des connexions de plus de 40 % chez les moins de 35 ans. 

Facebook nouvelle ère : une plateforme multifonction, « tout en 1 »  

Il y a seize ans, lorsque Mark Zuckerberg lançait TheFacebook.com en 2004, la seule fonctionnalité de ce réseau social était de permettre aux étudiants d’un même campus de se rencontrer. Depuis, Facebook dépasse de très loin les visées initialement prévues dans son dispositif sociotechnique… et a pendant plusieurs années disposé d’une position monopolistique sur le marché du social media. 

Malgré son déclin au profit de nouvelles plateformes –Twitter, Instagram, Whatsapp, Snapchat, TikTok – que le géant du web a tenté d’acquérir avec plus ou moins de succès, Facebook continue toujours à apparaître comme indispensable pour un grand nombre de ses utilisateurs, et ce n’est clairement pas pour les raisons qui les ont poussés à leur toute première connexion. Facebook a en effet su évoluer au fil du temps et de nombreuses fonctionnalités sont venues s’agréger à la plateforme pour enrichir l’expérience de ses utilisateurs. Qu’il s’agisse de Facebook Messenger ou de la fonctionnalité Événements, on trouve toujours une bonne raison pour ne pas supprimer son compte !

Il y a tout juste une semaine, le lundi 13 avril 2020, en faisant le tour des médias et des médias sociaux que je consulte régulièrement, lors de ma connexion sur Facebook (devenue quotidienne depuis le confinement), j’ai découvert le tout nouveau menu de la plateforme, lequel m’a interpellée à plusieurs niveaux… 

Véritable tournant qui marquerait un nouveau positionnement de Facebook ou juste nouveauté UX de mise en scène des fonctionnalités qui m’aurait permis d’en prendre conscience ? Facebook se veut de plus en plus un tout nouveau web au sein du World Wide Web et qui, bien entendu, s’il devait arriver à ses fins, le supplanterait ! Pour étayer mon hypothèse, je vous soumets un schéma et je vous laisse juger par vous-mêmes !

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Je vous l’accorde, la plupart de ces fonctionnalités ne sont pas fondamentalement nouvelles. Il y a cependant une entrée de ce menu qui a particulièrement retenu mon attention : la toute première ! 

Pourquoi ? Selon moi, elle marque une nouvelle ère qui permettrait à Facebook un positionnement stratégique nouveau ou, en tout cas, plus assumé, en tant que plateforme d’information.

Facebook à l’ère du Covid-19 : un nouveau Twitter ?

Crise sanitaire mondiale, plateforme utilisée mondialement… With great power, comes great responsibility, c’est en tout cas la posture politique endossée ouvertement par Facebook dans ses prises de parole officielles, mais également indirectement via de nouvelles fonctionnalités et via des messages dissipés un peu partout au sein de la plateforme…

En ce qui concerne sa position officielle, Facebook, tout comme Google, a annoncé le partage d’une partie de sa data avec les gouvernements du monde entier, de manière à permettre à des chercheurs de mieux comprendre la dynamique de la pandémie. Si cette ouverture sans précédent pourrait avoir de lourdes conséquences sur la vie privée et sur le visage de nos sociétés démocratiques – on ne sait toujours pas ce qui en sera fait, restons optimistes ! -, à ce stade, elle est avant tout extrêmement forte symboliquement parlant. Facebook et Google apparaissent sur la scène internationale en position de force, ils prouvent être des interlocuteurs aussi forts – sinon plus forts – que les Etats… Next step ? Une ambassade de Facebook dans tous les Etats du monde ?…

Mais revenons dans le digital (le confinement impose !). En effet, qu’il s’agisse de Facebook ou de Twitter, aucun de ces réseaux n’a conçu à l’origine son dispositif sociotechnique pour l’actualité et la presse¹. C’est bel et bien la fonction sociale de ces réseaux qui a imposé l’utilisation de ces plateformes pour partager et suivre l’actualité. En effet, l’information relève d’un besoin vital, celui d’être relié aux autres, et Facebook a pris assez rapidement conscience du potentiel de cet usage de sa plateforme. Ainsi, si en 2011 encore on se connectait sur Facebook presque exclusivement pour suivre l’actualité de ses amis et de sa famille, dès 2012-2013, un changement drastique de l’algorithme régissant le news feed de Facebook a donné une importance grandissante aux actualités avec un grand « A » au détriment de celles de nos connexions interpersonnelles. Un nouveau changement de cap a eu lieu en 2015, dans le contexte des attentats du 13 novembre à Paris, lorsqu’en créant les safety check Facebook se positionne en apporteur de solutions et en gardien des trajectoires du risque dans le cadre des crises… Or quel sujet possède un plus fort potentiel viral qu’une catastrophe, de préférence mondiale ?… Quelqu’un a dit « viralité » ? Que celle-ci ait lieu sur Facebook !

Vous l’aurez compris, la crise liée au Covid-19 vient simplement entériner cette fonction d’information et d’alerte de la plateforme. Sa dimension mondiale semble d’ailleurs donner à Facebook une légitimité toute nouvelle, puisque la plateforme crée le 13 avril 2020 une nouvelle entrée dans son menu : « COVID-19 – Centre d’information ».

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Il ne s’agit en réalité de rien d’autre que d’un fil d’actualités thématique portant sur la pandémie. 

Sans minimiser la gravité de cette crise sanitaire ainsi que l’indispensable mobilisation solidaire de l’ensemble des acteurs socio-économiques, Facebook y compris, Covid-19 reste malgré tout une actualité parmi d’autres… Or, proposer en tant qu’entrée distincte une actualité chaude au sein d’un menu de navigation, froid par définition – qui habituellement propose des grandes catégories à ses utilisateurs leur permettant ainsi d’explorer les fonctionnalités de la plateforme- est tout sauf anodin. S’agirait-il ici d’une première étape visant à habituer les utilisateurs européens de Facebook à sa nouvelle visée informationnelle² ? En effet, quid de « Covid-19 – Centre d’information » une fois la pandémie endiguée ? My guess ? Cette entrée sera aussitôt remplacée par une catégorie à part entière donnant accès aux actualités par Facebook, entérinant ainsi un usage de fait de la plateforme qui, de réseau social, deviendrait une plateforme d’information de manière assumée. Aux Etats-Unis, cela porte déjà un nom : Facebook News

D’autres rubriques de la plateforme sont également impactées par le contexte de la crise sanitaire. Ainsi, au sein de l’entrée « Evénements », un message porté par Facebook-même interpelle : « Empêcher la propagation du COVID-19 est l’affaire de tous. Chacun, y compris les jeunes personnes en bonne santé, doit éviter les rassemblements durant cette période. Consultez les dernières directives de santé publique fournies par gouvernement.fr. ». 

Mais l’exemple le plus parlant de cette posture qu’on pourrait qualifier d’étatique ou bien de paternaliste de la plateforme (qui prend à bras le corps la mesure de ses grandes responsabilités) est peut-être l’amalgame fait par Facebook dans ses « publicités » internes pour faire connaître au plus grand nombre son engagement et sa nouvelle rubrique « COVID-19 – Centre d’information » : 

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En effet, Facebook nous explique que s’informer – de préférence via sa plateforme – revient à lutter contre la propagation du virus. Si seulement c’était aussi simple ! Le raccourci est pleinement assumé par Facebook qui, ayant été sous la lumière des projecteurs comme vecteur de propagation des fakenews, propose ici un canal où son algorithme sélectionne et propose des articles issus de sources d’information officielles, au même titre que Twitter³. Mais selon quelle logique ? Avec quel impact sur les médias, sur les éditeurs de presse, dont la plateforme agrège les contenus qu’elle propose à ses utilisateurs ? 

Les limites de la facebookisation du web 

La crise sanitaire liée au Covid-19 apparaît ainsi comme une opportunité pour la plateforme de changer de cap et d’entériner son nouveau positionnement en tant que plateforme d’information. La logique n’est pourtant pas nouvelle. En effet, en octobre 2019 avait lieu un énorme bras de fer mettant autour de la table les éditeurs de presse européens et les GAFA. La pomme de la discorde ? La loi qui transpose dans le droit français la directive européenne sur le droit voisin qui oblige les agrégateurs d’informations, comme Google Actualités et bientôt Facebook News à rémunérer les éditeurs de presse pour l’utilisation de leurs contenus. Le problème ? Le refus des géants mondiaux du numérique de jouer le jeu et de rémunérer le contenu qui fait désormais la richesse de leurs plateformes. 

Snippets, aperçus Facebook riches, ou encore affichages popin d’articles de presse internalisés aux solutions des grands du numérique, ont pour objectif ultime le fait de prolonger le temps effectif que nous passons sur le moteur de recherche ou encore sur un réseau social comme Facebook. Pour l’instant, rien de terrible pour nous, consommateurs d’information. Or, dans l’économie numérique, sites d’information, blogs de tous types, plateformes e-learning, encyclopédies, médias sociaux, etc., sont tous devenus des concurrents directs sur un seul et unique marché : celui de la publicité. Détourner le trafic d’un média sans contrepartie financière revient à le priver d’une source de revenus essentielle⁴ qui assure souvent sa survie même. En clair ? Si les internautes, pour s’informer, commençaient à se rendre exclusivement dans l’espace actualités de Facebook au lieu de se rendre directement sur les sites d’informations, à terme, à défaut de savoir réinventer leur modèle économique de manière efficace, tout un ensemble de médias seraient voués à disparaître. Ainsi, petit à petit mais avec certitude, le contenu se verrait appauvri à la fois qualitativement et quantitativement, au profit là encore des logiques monopolistiques… Les plus grands, les plus mainstream souvent, seraient les seuls à être en mesure de poursuivre leur activité. 

À la différence de Google, Facebook semble néanmoins envisager une rémunération pour des contenus sélectionnés de manière qualitative au sein de sa future rubrique d’actualités, mais pas pour tous les médias et selon des logiques qui demeurent aujourd’hui encore opaques. Avec Facebook News, le géant du web semble s’octroyer une légitimité de sélection qui consacrerait la plateforme en tant qu’instance décisionnaire qui choisit des sources d’informations qui seraient pertinentes, légitimes en écartant celles qui ne le seraient pas. Ainsi, Facebook pourrait procéder à une purge progressive mais certainedes producteurs de contenus,viaune sélection à double étage. D’abord, avec l’aide de sa toute nouvelle armée de journalistes (permettant d’échapper au diktat de son algorithme tant décrié), Facebook fait un tri qualitatif entre les sources d’informations qui mériteraient de remonter dans son fil d’actualités et celles qui ne le mériteraient pas, avec un impact certain sur le trafic enregistré par ces dernières. Ensuite, si Facebook décidait de rémunérer seulement une partie des éditeurs de presse qui remontent dans son fil au détriment d’autres, une seconde vague d’éradication serait opérée, car ceux qui ne bénéficieraient pas de la contrepartie financière de la plateforme pourraient être eux-aussi pénalisés de manière arbitraire au risque de leur disparition même. 

On l’aura compris, ce scénario prospectif où Facebook parviendrait à redorer entièrement ses lettres de noblesses en se réinventant en tant que plateforme d’information aurait potentiellement de lourdes conséquences sur l’industrie des médias et de la production de contenus. Ainsi, si les velléités initiales du WWW étaient de donner un accès libre à l’information qui deviendrait universelle, Facebook semble être sur le point de les trahir car sa politique aurait pour effet la paupérisation du contenu, l’uniformisation des points de vue, enfin, une main mise sur notre accès à l’information passée au crible de son algorithme ou de son bon vouloir.

Si Facebook a encore du chemin à parcourir et nous apparaît aujourd’hui comme encore loin d’être un outil indispensable à notre navigation sur internet, en réalité, cette projection est peut-être déjà en partie vraie pour Google qui est souvent confondu par les plus jeunes ou même par les plus seniors d’entre nous avec Internet même…

« Je pense que l’une des menaces les plus inquiétantes est toujours que quelqu’un prenne le contrôle de l’ensemble. Ça peut être un gouvernement ou une grande firme, selon le lieu et l’instant. Contrôler, ça peut vouloir dire bloquer, ça peut vouloir dire espionner les gens, ça peut être de la censure, ou ça peut être quand vous pouvez aller sur n’importe quel site mais en sachant que le gouvernement vous observe et peut vous mettre en prison s’il estime, d’après les sites que vous consultez, que vous représentez une menace. Donc garder le web ouvert est très important. »   

Tim Berners-Lee (AFP, Londres, Royaume-Uni, 2012)


¹ A. Mercier et N. Pignard-Cheynel, « Mutations du journalisme à l’ère du numérique : un état des travaux », Revue française des sciences de l’information et de la communication [En ligne], 5 | 2014.

² Facebook a annoncé en octobre 2019 la création d’un espace dédié aux actualités.

³ Twitter aussi propose depuis plusieurs semaines une nouvelle section intitulée « COVID-19 en France » / « Coronavirus EN DIRECT », qui propose aux utilisateurs de suivre en temps réel « les informations des sources fiables et officielles ». Pour en savoir plus, prolongez la lecture avec ma tribune, « Covid-19 : réflexions et questionnements sur les maux d’un emballement médiatique sans précédent ».

⁴ Si le recours à la publicité s’est imposé pendant longtemps comme le seul modèle économique viable sur internet, c’est parce que l’accès à une information universelle et gratuite était inscrit dans l’ADN même du web tel que conçu par Tim Berners-Lee. Le hic ? Ce marché de la publicité a petit à petit été accaparé de manière virulente par les GAFA. Ainsi, la part de Google et de Facebook sur le marché de la publicité en ligne dépassait 75 % en 2019 et pour l’instant semble continuer à grimper !

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Sociologie des médias

Covid-19 : réflexions et questionnements sur les maux d’un emballement médiatique sans précédent

Immédiateté, circularité circulaire de l’information, emballement médiatique, multiplication des sources, des intermédiaires, standardisation et paupérisation des contenus, formats courts, diktat du direct… autant de facteurs qui conduisent à une perte de sens et à une mauvaise compréhension de l’information dont la principale fonction semble être moins celle de permettre de comprendre le monde que celle de se tenir aux aguets des risques du monde. Et si l’information aujourd’hui créait moins le sens qu’elle ne le brouillait ?
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©Twitter, Fil d’actualité Covid-19

Des médias d’information aux médias d’alerte ?

1, 3, 12, 100, 1 000, 25 000… Combien d’entre nous n’avons-nous pas rythmé nos journées sinon nos heures (surtout de confinement !) au rythme du nombre de personnes atteintes par le virus ou bien de celui des personnes ayant succombé définitivement à celui-ci ? Ces chiffres nous ont été communiqués à coups de canons par les médias de manière non-interrompue et souvent non-commanditée. Que cela soit sous la forme de notifications push, sur l’ensemble des chaînes d’info en continu ou bien de manière indirecte (le two step flow¹), via les réseaux sociaux, impossible d’y échapper !

En effet, le Covid-19, peut-être plus que nulle autre actualité, met en lumière le fait que, sous le diktat de l’instantanéité, les médias semblent désormais remplir une fonction nouvelle, non pas d’information, mais d’alerte ; ils deviennent ainsi des pourvoyeurs des trajectoires du risque. Dans le cas de cette crise sanitaire mondiale ayant transité de manière fulgurante d’un côté de la planète à l’autre, c’est justement la dimension géographique du risque (son rapprochement imminent) qui donne au traitement médiatique du Coronavirus une fonction alarmiste d’autant plus forte. En effet, dès la prise de conscience de la gravité de la situation, les médias ont couvert le sujet tous azimuts. Presse écrite, médias en ligne, TV, radios : le Covid-19 s’est imposé avec une vitesse directement proportionnelle à sa propagation mondiale dans toutes les typologies de presse, dans toutes les rubriques, dans toutes les émissions. Ainsi, une étude récente de l’INA² met en évidence le fait que la médiatisation du Covid-19 et de ses conséquences est un phénomène absolument inédit dans l’histoire de l’information télé : du lundi 16 mars au dimanche 22 mars, 74,9 % du temps d’antenne a été consacré au coronavirus et à ses conséquences, ce qui représente une production totale de près de 378 heures d’informations sur le sujet. La presse écrite n’y échappe pas non plus. Une étude menée par Tagaday³ montre que depuis mi-mars, chaque jour, pas moins de 19 000 articles sont consacrés au Covid-19. Les médias sociaux, quant à eux, suivent la tendance et répondent de manière quasi épidermique à cette flambée médiatique. Une équipe de chercheurs de l’EPFL s’est associée au Temps pour réaliser une étude⁴ qui vient comparer trois phénomènes : le volume de recherches Google, celui des articles publiés en ligne par les médias, et les mentions du coronavirus sur Twitter, une boucle vicieuse s’auto-alimentant de manière exponentielle.  

Plus viral sur la toile que dans la rue ? 

Les hashtags se démultiplient, les prises de paroles aussi, tout comme les fake-news qui y trouvent un terreau des plus fertiles. Bref, tout le monde en parle et les réseaux sociaux fonctionnent comme des boîtes réverbérantes des médias et viennent donc renforcer cette nouvelle fonction d’alerte de l’information. Ainsi, de gros volumes d’articles sont concomitants à de gros volumes de tweets. Telles des dépêches AFP mais sans rigueur journalistique ni recoupement de sources, ces micro-bouts d’informations titillent, tiraillent, et, s’agissant de Coronavirus, angoissent. En effet, ce qui est particulièrement intéressant à noter dans l’analyse de Twitter, et encore plus vrai pour ce média social que pour tous les autres aujourd’hui, c’est que ce réseau est utilisé à des fins de recherche d’information par ses utilisateurs. Ayant pleinement conscience de cet usage détourné et non-prémédité à l’origine dans son dispositif sociotechnique, Twitter a proposé à ses utilisateurs depuis février 2018 de nouvelles fonctionnalités qui viennent entériner sa fonction de source d’information. Un exemple en image, la fonctionnalité les « Moments du jour » :

Plus récemment, la section « COVID-19 en France » / « Coronavirus EN DIRECT », qui propose aux utilisateurs du petit oiseau bleu de suivre en temps réel « les informations des sources fiables et officielles », vient consacrer en plus la posture d’alerte endossée par ce média social. 

Facebook, presque par mimétisme avec les médias plus traditionnels, a lui-aussi, de manière particulièrement forte, assumé sa fonction de gardien des trajectoires du risque. La première manifestation la plus tangible de cette fonction remonte au 13 novembre 2015, lorsque Facebook, en plus d’agréger au même titre que Twitter les différentes mises en garde des médias, des leaders d’opinion et des simples internautes, a mis en place son propre système d’alerte/de sécurité : le safety check. Ce système d’alerte a été utilisé depuis à plusieurs reprises par le géant du web dans des situations plus ou moins similaires (tremblement de terre survenu au Népal, attentat terroriste à Londres etc.). La crise liée au Covid-19 ne fait pas défaut à cette dynamique. Le réseau propose en effet à l’ensemble de ses utilisateurs des bannières ou des photos de profil customisées affichant des messages de soutien aux décisions gouvernementales pour endiguer la pandémie, du type « Restez chez vous ! ». Par ailleurs, il va presque de soi qu’EdgeRank, l’algorithme régissant le newsfeed personnalisé de Facebook, a été mis à jour de manière à donner une importance grandissante aux nombreux articles concernant cette crise planétaire.  

On l’aura compris, tous les médias confondus font tout pour nous donner un accès immédiat et élargi à toute l’information liée au Coronavirus. Ainsi, beaucoup de médias traditionnels proposent des abonnements à prix réduits dans le cadre du confinement ou des partenariats inédits avec des réseaux sociaux… Les initiatives en ce sens regorgent… Mais être plus informé, est-ce forcément être mieux informé ? 

Les maux de la « mal-info »

Et si trop d’information – immédiate, dénuée de contextualisation et d’approche pédagogique – tuait l’information, ou en tout cas brouillait les pistes plus que ce qu’elle ne les éclairait ? Dans ce nouveau régime d’alerte, tout se passe comme sila fonction de certains médias (et notamment à cause de l’usage que le plus grand nombre en fait) était d’attiser les peurs plus que de répondre à un réel besoin d’information. Ainsi, la « bonne » consommation de l’information, celle qui répond à un besoin vital, celui d’être relié aux autres et qui remplit une fonction de connexion et de partage, parfois une fonction de communion – notamment lors des grandes « messes » ritualisées comme les débats électoraux, les finales des coupes sportives… – semble battue en brèche par une (sur)consommation de l’info s’apparentant à du pathologique, où l’info deviendrait de la « mal-info »⁵. 

La mal info s’accompagne de réflexes bien particuliers. Le premier est sans aucun doute le renforcement de l’exposition sélective qui correspond au fait de se renfermer dans quelques sources d’info-zones confort. Comment fonctionne l’exposition sélective ? Pour ne prendre qu’un exemple : un internaute identifié « de gauche » par le choix de ses connexions/amis et des pages sur lesquelles il clique se verra proposer par les réseaux sociaux (comme Facebook) toujours davantage de connexions et de pages/profils « de gauche ». Ce double filtrage, effectué par l’algorithme et par les choix de l’internaute, explique le phénomène du filter bubble⁶, à savoir la formation d’une bulle tribale, constituée par l’internaute et par ses semblables, laquelle a tendance à s’enfermer sur elle-même. En effet, à prime abord, faire partie d’un groupe socialement identifié et consommer une information choisie et assumée précisément pour son inscription dans une lecture du monde particulière semble être une pratique valorisante. Mais cette pratique comporte un hic : un grand nombre de consommateurs d’information (souvent ceux les plus à même à lire et à partager des fake news) peuvent ne pas avoir conscience de leur appartenance tacite à un groupe particulier véhiculant des idéologies bien précises. Pour ne prendre que quelques exemples, on peut rappeler ici ces bulles d’enfermement tant décriées par certains pour avoir conduit au Brexit ou à l’élection de Trump, où les dynamiques créées sur les médias sociaux auraient joué un rôle déterminant.  

Une autre conséquence de ce type de consommation de l’information est celle de la fragmentation. Si on cherche et on lit tout sur un même sujet (comme cela peut être le cas de certains d’entre nous aujourd’hui par rapport au Covid-19) on devient hyperspécialiste de celui-ci, ce qui vient nuire à la possibilité de construire une espèce d’horizon informationnel commun qui nous permettrait d’avoir une base partagée dans la société qui ne se limiterait pas exclusivement au régime d’urgence… En effet, avec une couverture médiatique aussi importante et un accord tacite des publics qui deviennent addicts à la nouvelle fonction d’alerte des médias (médias sociaux y compris !), on se demande honnêtement si le Covid-19 et son endiguement par le confinement n’auraient pas confiné aussi le reste de l’actualité ! 

En effet, à l’heure du confinement, de la distance réglementée et des gestes barrières, comment continuer à faire corps ? Comment continuer à être ensemble en échappant au confort immédiat d’un entre-soi exacerbé, qui comporte intrinsèquement des risques majeurs de polarisation, de logiques binaires, terreaux de la radicalisation, laquelle apparaît comme l’un des maux les plus dangereux qui soient… ?


¹ Katz (Elihu), Lazarsfeld (Paul)– Influence personnelle [trad. de Personal Influence, 1955], Paris, Armand Colin, 2008.

² ÉTUDE. Information à la télé et coronavirus : l’INA a mesuré le temps d’antenne historique consacré au Covid-19.

³ La plateforme de veille médiatique Tagaday (ex-Press’edd) a analysé la place consacrée au coronavirus dans la presse écrite et web, à partir d’un échantillon de 3 000 titres et sites des médias français.

⁴ « Covid-19 : histoire d’une médiatisation », étude réalisée ne partenariat par Le Temps et L’EPFL.

⁵ D. Muzet, La mal info : Enquête sur des consommateurs de médias, Editions de l’Aube, 2006.

⁶ Maudet Nolwenn, « Eli Pariser, The filter bubble, Penguin Books, 2011 », Interfaces numériques, 2013, vol. 2, n°1.